L'histoire, une base de connaissances pour comprendre l'évolution des idées
Comme l'a écrit André Gide ( "Le présent serait plein de tous les avenirs, si le passé n'y projetait déjà une histoire." - 1932), notre passé nous conditionne.
Il faut donc connaître notre historicité pour appréhender notre condition. Contrairement à d'autres domaines, l'histoire de la franc-maçonnerie a longtemps été incomplète ; peu de documents fiables, la difficulté pour explorer ceux qui existent, l'absence d'historiens de qualité s'impliquant dans cette recherche, expliquent cet état de fait. Cependant depuis la dernière guerre, la rigueur méthodologique et la volonté de disposer de sources incontestables a aboutit à la production d'études importantes.
Il est très difficile d'être juge et partie et en l’occurrence d'être franc-maçon et historien. Très vite, l'affectivité offre un biais qui peut jouer comme une autocensure.
Malgré cela, il est possible aujourd'hui d'avoir une approche plus exacte du déroulement des faits.
L'histoire de la franc-maçonnerie : simple, compliquée et douloureuse :
- simple si on se réfère aux dates et aux faits dont on a une trace dans des documents fiables et si on garde à l'esprit que d'une certaine manière le contenu maçonnique est un syncrétisme d'apports divers avec une importance particulière pour les références bibliques.
- compliquée si on prend en compte les légendes , les mythes , les similitudes et ces fameuses interprétations qui ont fait florès et qu'on a parfois (trop) tendance à prendre pour des vérités ;
- douloureuse car comme toute histoire humaine, les sentiments et les déclarations d'intention ne résistent pas à des engagements plus prosaïques avec des querelles de clochers et des coups bas peu ragoûtants.
Historiquement, la franc-maçonnerie est une création anglaise.
On sait maintenant et cela grâce aux grands historiens de la Franc-Maçonnerie (en particulier Harry Carr, le célèbre historien anglais, André Combes, Roger Dachez et André Doré qui ont su cultiver la rigueur scientifique de leur art) que l'émergence de la franc-maçonnerie eut lieu en Grande Bretagne, essentiellement en Angleterre et aussi en Ecosse ; cette création se fit à partir d'une mutation des organisations compagnonniques (le terme de freemason prend son origine dans les associations compagnonniques anglaises des tailleurs de pierre) . Cette "mutation" se fit progressivement au XVIIème siècle, à partir de la création des maçons acceptés (qui n'étaient pas du métier des tailleurs de pierre) pour apparaître au grand jour au début du XVIIIème. (Voir ci-dessous une contribution de notre frère Nadim Michel KALIFE qui explique les raisons de cette origine anglaise)
Cette origine anglaise ne doit jamais être oubliée car elle permet de comprendre l'originalité sociologique de la franc-maçonnerie : tout s'est passé comme si le développement de la franc-maçonnerie avait été rendu possible grâce à l'alliance de la bourgeoisie et de l'aristocratie anglaises. Ce lien a permis à la Franc-Maçonnerie d'être reconnue commue Institution.
Cette création est marquée par un contexte particulier qui a beaucoup influencé l'ordre maçonnique et que l'on retrouve encore aujourd'hui :
la déstabilisation de la société anglaise du XVIIème siècle avec une tentative de rejet de l'aristocratie,
l'influence d'une élite intellectuelle marquée par le réformisme protestant,
la volonté de réaliser un rapprochement entre l'aristocratie et la bourgeoisie.
Cette origine anglaise explique aussi qu'aujourd'hui la grande majorité des francs-maçons du monde est anglo-saxonne.
A partir de cette spécificité anglaise, l'extension des loges dans les autres parties du monde fut possible grâce, essentiellement, à deux éléments que l'on retrouvera toujours :
Une certaine alliance entre la bourgeoisie, l'intelligentsia et l'aristocratie
Un attrait pour un "libertinage" religieux qui autorise un certain éclectisme.
La France, et c'est une réalité assez rare, acceptera cette création anglaise en essayant de lui donner une spécificité française. Celle-ci prit plusieurs formes mais après la Belgique, qui en fut l'initiatrice, l'originalité française est en lien avec la liberté de conscience qui permit la présence des agnostiques, des juifs et des non-croyants dans les loges .
Il n'est pas le lieu de faire une présentation exhaustive de toute l'histoire de la franc-maçonnerie (histoire des obédiences, celle des acteurs quand leurs actes ont été motivés par leur appartenance maçonnique, histoire aussi des faits en rapport avec la franc-maçonnerie).
Vous trouverez dans ces pages une chronologie (empruntée à un texte de Jean-Loup Cadet-Tuyère avec des ajouts émanant de sources différentes) et des articles plus ciblés sur certaines périodes.
Bbliographie :
- " Histoire du Droit Humain dans l'Est de la France" - publié en 2022
Chronologie des faits marquants
926 : Charte des maçons d'York.
1015 : création de la loge des tailleurs de pierre de la cathédrale de Strasbourg.
1110 : premières guildes anglaises de métiers.
1189 : le 11 février, le Concile de Rouen, condamne, en raison du danger de parjure, les confréries dont les membres promettent de se porter secours mutuellement.
1390 : Le manuscrit Halliwell dit Regius : premier document connu attestant les devoirs des compagnons découvert en Angleterre - Texte en moyen anglais avec l'incipit et les interlignes en latin.
1642 : année des plus anciens documents existants de la Loge de Mother Kilwinning (Ecosse).
En 1649, Henriette d’Angleterre, fille d'Henri IV et de Marie de Médicis, veuve de Charles Ier, se réfugie à Saint-Germain-en-Laye avec des officiers écossais et irlandais.
1660 : Création de la Royal Society à Londres , société savante , qui prendra avec Isaac Newton un rôle fondamental dans la création de la première Grande Loge d'Angleterre ;
1685 : Le 18 octobre , révocation de l'Édit de Nantes.
1688 : Jacques II Stuart, chassé du trône d’Angleterre par son gendre Guillaume d’Orange s’exile à Saint-Germain-en-Laye.
1717 : le 24 juin (cette date est contestée par les historiens) , jour de la Saint-Jean-Baptiste, création de la Grande Loge de Londres et de Westminster, par quatre loges (L'Oie et le Grill, La Couronne, Le Pommier, Le Gobelet et les Raisins)avec Jean-Théophile Désaguliers et James Anderson.
1723 : Parution des Constitutions (The Constitutions of the Free-Masons), rédigées par James Anderson.
1728 : Les francs-maçons français reconnaissent un "grand maître des francs-maçons en France" en la personne de Philippe, Duc de Wharton.
1738 : Les loges françaises constituent la Grande Loge de France.
Le 24 juin, le duc d’Antin (Louis de Pardaillan de Gondrin) est proclamé Grand Maître général et perpétuel des Maçons dans le Royaume de France.
1745 : Bordeaux, création de la Loge Ecossaise par Etienne Morin.
1751 : 24 juin - Allemagne, fondation par le baron Karl Gotthelf von Hund und Altengrottkau de la Stricte Observance qui insiste sur les origines templièresde la franc-maçonnerie.
1753 : Le soyeux lyonnais, Jean-Baptiste Willermoz, fonde la loge de la Parfaite Amitié. Il jouera en 1760 un grand rôle dans la formation de la Grande loge des Maîtres réguliers de Lyon, dont il deviendra le grand maître.
1773 : La Grande Loge de France devient le Grand Orient de France : Le 26 juin les loges, réunies en Grande Loge Nationale, adoptent les statuts de l’Ordre royal de la franc-maçonnerie connu sous le nom de Grand Orient de France.
1776 : Le 1er mai, Adam Weishaupt (juif ashkénaze converti au catholicisme qui étudia chez les jésuites) et le baron Adolf von Knigge, franc-maçon depuis 1773, fondent la société secrète des Perfectibilistes qui deviendra l'Ordre Secret des Illuminés (lluminati) Germaniques, les Illuminés de Bavière.
1782 : Sous la direction du Duc de Brunswick, le Grand Convent Général de la Franc-Maçonnerie à Wilhemsbad reconnaît le Rite écossais Rectifié, système maçonnique (créé par Willermoz en 1778).
1786 : Le Grand Orient adopte le Rite français en 7 degrés : le modèle est fixé pour les trois premiers degrés en loge bleue qui connaissent une forte influence anglaise en distinction toujours des rites écossais.
1788 : création par le célèbre "aventurier" Joseph Balsamo dit Alessandro Cagliostro, d'un rite de la haute maçonnerie égyptienne.
1791 : Le 24 juin, les francs-maçons noirs américains, réunis à Boston, constituent l'African Grand Lodge of North America ; Prince Hall (mulâtre né d'un marchand de cuir anglais et d'une esclave affranchie venue des colonies françaises, et initié en 1775 au sein de la Military Lodge 441 attachée à l'armée britannique stationnant à Boston) est élu grand-maître à l'unanimité ; il le restera jusqu'à sa mort en 1807.
1804 :
- 27 novembre, Joseph Bonaparte (initié à la loge La Parfaite Sincérité de Marseille) est Grand Maître du Grand Orient et son frère cadet Louis Bonaparte est Grand-Maître adjoint.
- création du Suprême Conseil de France qui sera à l'origine de la création de la Grande Loge de France en 1894 ;
1809 : Charles XIII, roi de Suède de 1809 à 1818, crée l'Ordre qui porte son nom.
1815 : Création à Paris du Rite de Misraïm par les frères Marc, Michel et Joseph Bédarride, membres de l'armée impériale de retour d'Italie.
1837 : Création du rite de Memphis par Jean Étienne Marconis de Nègre
1839 : Paris, Agricol Perdiguier, compagnon menuisier dit Avignonnais la vertu, publie le Livre du compagnonnage par lequel il veut réconcilier les trois rites concurrents.
1849 :13 avril, première Constitution du Grand Orient de France : la franc-maçonnerie, "institution éminemment philanthropique, philosophique et progressive, a pour base l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme". Le Grand Orient adopte pour devise : Liberté, Égalité, Fraternité.
1852 : la grande maîtrise du Grand Orient est confiée àLucien Murat : Celui-ci achète l'hôtel de la rue Cadet.
1862 : 11 janvier, Napoléon III, promeut Grand Maître du Grand Orient le général Magnan.
1877 : Le convent de septembre du Grand Orient de France adopte un vœu présenté par Frédéric Desmons qui modifie l’article 1er de sa constitution qui imposait la croyance en Dieu et en l’immortalité de l’âme, le nouvel article est ainsi rédigé :
"La franc-maçonnerie, institution essentiellement philanthropique et progressive, a pour objet la recherche de la vérité, l’étude de la morale universelle, des sciences et des arts et l’exercice de la bienfaisance. Elle a pour principes la liberté absolue de conscience et la solidarité humaine. Elle n’exclut personne pour ses croyances. Elle a pour devise : Liberté, Égalité, Fraternité".
En conséquence :
L’invocation au Grand Architecte de l’Univers n’est plus obligatoire ainsi que la présence de la Bible sur l’autel.
Chaque loge agit comme elle le souhaite.
Le Grand Orient de France est condamné par la Grande Loge de Londres qui l’exclut de l’ordre maçonnique.
1880 : 12 février, création de la Grande Loge Symbolique Ecossaise qui disparut vers 1911 ; cette obédience créée à partir d'une scission du Suprême Conseil de France acceptait des personnalités libertaires ; c'est dans leurs loges que les premières femmes furent initiées.
1881 : Septembre, fondation par Garibaldi du Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm réunissant le Rite de Misraïm constitué en 1788 par Cagliostro et le Rite de Memphis constitué en 1815 par des frères ayant suivi Napoléon en Égypte. Initié à Montevideo en 1844 à la loge L'Asile de la Vertu, Garibaldi était membre de la loge Les Amis de la Patrie au Grand Orient de France.
1891 : Fondation de l’ordre Martiniste par Gérard Encausse dit Papus et Augustin Chaboseau. L’ordre revendique l'héritage initiatique de Louis-Claude de Saint-Martin, disciple de Martinès de Pasqually le fondateur des Élus-Cohens (Hauts grades maçonniques), et se propose de perpétuer l’ésotérisme judéo-chrétien.
1893 : 4 avril, Georges Martin et Maria Deraismes fondent, à Paris, la Grande Loge Symbolique Écossaise, Le Droit Humain, ordre maçonnique mixte international, proche du Grand Orient de France bien qu’ayant choisi le rite écossais.
1894 :
- 29 septembre, fondation à Rome de l'Union antimaçonnique universelle ;
- 7 novembre : création de la Grande Loge de France, émanation du Suprême conseil de France ;
1901 : Les socialistes lèvent l'interdit qui, auparavant, frappait la franc-maçonnerie. Le Grand Orient joue un rôle déterminant dans la fondation du parti républicain radical et radical-socialiste.
1902 : 19 mars - Léon XIII condamne la franc-maçonnerie (lettre apostolique Annum ingressi).
1903 : 1er janvier : création du Bureau International de Relations Maçonniques (BIRM) par la Grande Loge Suisse Alpina ; ce BIRM cessera de fonctionner en 1920 (voir un article à son sujet sur le site Si Fodieris Invenies )
1904 : Affaire des fiches : le gouvernement d'Émile Combes(docteur en théologie, ex-séminariste, anticlérical, initié en 1869 à la Loge Les Amis Réunis de Barbezieux) va se faire communiquer des fiches sur lesquelles est mentionné le zèle républicain des fonctionnaires, et des militaires en particulier. Le Grand Orient de France participe à l'élaboration des fichiers bien que de nombreux Frères refusent d'établir ces listes qui ne comportent pas moins de 20.000 noms.
Le scandale éclate lorsque Bidegain, secrétaire au Grand Orient, vend une copie des fichiers au Figaro qui les publie.
Combes, président du Conseil, démissionne le 18 janvier 1905 ; son successeur, Maurice Rouvier, est élu le 24 janvier.
1913 : 5 octobre, la Loge Le Centre des Amis et la Loge Anglaise 204 quittent le Grand Orient et s'érigent en Grande Loge Nationale Indépendante et Régulière pour la France et ses Colonies reconnue par la Grande Loge Unie d'Angleterre comme la seule obédience régulière pour la France.
1934 : L’affaire Stavisky rejaillit sur la Maçonnerie : 3.000 maçons démissionnent.
1938 : Le texte d'Arthur Groussier pour un retour aux sources symboliques du Rite Français est adopté par le Grand Orient (1955 marquera un début de retour du symbolisme dans le rituel du Grand Orient sous le nom de "rite français dit Groussier").
1940 :
- Le 7 avril 1940, Arthur Groussier adresse une lettre au Maréchal Pétain pour "respectueusement" prendre la défense du Grand Orient. Cette lettre lui sera contestée à la Libération.
- Le 7 août, Arthur Groussier, président du Grand conseil de l’ordre du Grand Orient annonce la dissolution volontaire de celui-ci.
- Le 14 août, une loi interdit les sociétés secrètes, les loges sont dissoutes, leurs biens et archives saisis.
1941 : 11 août - une loi ordonne l’expulsion des francs-maçons de la fonction publique et la publication au Journal Officiel des noms des dignitaires (540 fusillés, 989 déportés).
1945 : 21 octobre : la Soeur Gentily fonde l’Union Maçonnique Féminine de France (qui deviendra, en 1952, la Grande Loge Féminine de France).
1948 : La Grande Loge Nationale Indépendante et Régulière pour la France et ses Colonies prend le nom de Grande Loge Nationale Française (GLNF)
1952 :
- L’Union Maçonnique Féminine de France devient la Grande Loge Féminine de France.
- Fondation de l’ordre Martiniste de Philippe Encausse.
1954 :
- La Grande Loge de France rétablit l'obligation pour ses loges de travailler en présence d'une Bible ouverte sous l’équerre et le compas ; quelques loges lisent les premiers versets de l’évangile de Jean auquel elle est souvent ouverte, sans aucune obligation.
- 5 décembre 1954 : France, réveil de la Grande Loge du Régime Rectifié.
1958 : 2 octobre : suite à une scission au sein de la G.L.N.F., fondation de la « Grande Loge nationale française - Opéra » qui deviendra en 1982, la Grande Loge Traditionnelle et Symbolique Opéra.
1960 : Robert Ambelain prend le contrôle de la Grande Loge Française du Rite ancien et primitif de Memphis-Misraïm.
1961 : 22 janvier : création du Centre de liaison et d’information des puissances maçonniques signataires de l’appel de Strasbourg (CLIPSAS) qui fédère des obédiences "libérales" désireuses de préserver leurs spécificités face aux obédiences anglo-saxonnes "dogmatiques".
1964 : Scission à la Grande Loge de France : 600 frères rejoignent la Grande Loge Nationale de France.
1965 : Création de la Grande Loge féminine de Memphis-Misraïm,
1968 : 26 avril - Fondation de la Loge Nationale Française.
1973 : Février, fondation de la Grande Loge Mixte Universelle issue d'une scission du Droit Humain.
1974 : Janvier, fondation de l’Ordre Initiatique et Traditionnel de l’Art Royal.
1976 : Fondation de la Grande Loge Indépendante et Souveraine des Rites Unis par René-Jacques Martin.
1981 : 10 Janvier, le Grand Maître Robert Ambelain crée la Grande Loge Féminine de Memphis Misraïm.
1982 :
- 18 juin, Londres, Roberto Calvi, membre de la loge Propaganda Massonica Due (P2) dirigée par le Grand-Maître Licio Gelli (exclu du Grand Orient d'Italie en 1981), et président de Banco Ambrosiano dont la banque du Vatican (IOR) est devenu l'actionnaire majoritaire, est retrouvé pendu sous le pont de Blackfriars Bridge.
- 18 décembre, fondation de la Grande Loge Mixte de France (scission de la Grande Loge Mixte Universelle).
1984 :
- Octobre : fondation de la Grande Loge Féminine de Memphis-Misraïm, issue des loges Hator (1965) et Le Delta (1971). La soeur Julienne Bleier est nommée Grande Maîtresse Internationale et Grande Maîtresse pour la France. C'est la seule Obédience Egyptienne que le Grand Orient de France reconnaît officiellement.
1996 : Mai, création de l’Association maçonnique intercontinentale libérale.
1997 : Mai, création de la Grande Loge Mixte de Memphis-Misraïm
1998 : création de la Grande Loge Symbolique de France, qui comprend des loges masculines, féminines et mixtes, (utilise le rite de Memphis-Misraïm)
2003 :
- Octobre : création de la Grande Loge des cultures et de la spiritualité (GLCS), obédience mixte, à partir d'une scission de la GLNF ;
- En novembre, fondation à Nice de la Grande Loge Traditionnelle et Moderne de France (GLTMF).
2005 : La Déclaration de principes du Grand Prieuré des Gaules (Ordre des Chevaliers Maçons Chrétiens de France) est adoptée le 30 avril .
2006 : 9 septembre, la Grande Loge Féminine de France (GLFF), principale obédience féminine, accueille une "cérémonie de présentation" d'un couple de femmes homosexuelles, en présence de délégations de la GLFF et de représentants d'autres obédiences maçonniques ainsi que de la Fraternelle des enfants de Cambacérès, groupement réunissant des francs-maçons homosexuels de toutes obédiences (AFP).
2010 : Le 2 septembre, réunis en convent à Vichy (Allier), 1.200 représentants des loges du Grand Orient votent, à la majorité de 51,5%, que "ne peut plus être refusé qui que ce soit dans l'obédience pour quelque discrimination que ce soit, y compris de sexe".
2011 :
- Le 19 février, un collège de grands officiers installateurs de la Grande Loge unie d'Angleterre, des Grandes Loges unies d'Allemagne et de la Grande Loge nationale française, installe la Grande Loge nationale régulière de la principauté de Monaco (GLNRPM). Jean-Pierre Pastor, consul de Monaco à La Havane, en est le grand maître,
- Le 3 décembre, crise à la Grande Loge nationale de France (GLNF) contre le Grand Maître François Stifani.
2012 :
- avril : création de la Grande Loge de l'Alliance Maçonnique Française, à partir d'une scission de la GLNF ;
- 23 juin, à Aix-en-Provence, constitution de la Grande Loge Traditionnelle de France .
2014 : création de la grande loge traditionnelle initiatique (GLTI), mixte et travaillant au rite de Memphis-Misraïm
2017 : création de la Grande Loge féminine Initiatique francophone ( GLFIF) scission de la Grande Loge Féminine de France : 1ère Présidente Marie-Claude BATIER
2020 : Création de la Grande Loge de l'Europe et de la Méditerrannée avec comme premier Grand Maître, Jérôme Touzalin, dramaturge et homme de lettres.
NDLR : n'hésitez pas à nous signaler des erreurs, des manquements ou des imprécisions.
POURQUOI ET COMMENT
LA FRANC MAÇONNERIE EST NÉE EN ANGLETERRE ?
La Franc-maçonnerie dite "spéculative" ( un anglicisme signifiant "philosophique", composé par l’esprit) est cette grande école de pensée, constituée à Londres en 1717 puis réglementée en 1723 à travers les 1ères Constitutions d’Anderson, et qui se voulait être « le centre de l'union d'hommes de bien et loyaux » ayant pour but de contribuer au bien-être de l’humanité, en recherchant la vérité de toute chose dans un cadre de tolérance générale et de liberté de conscience en vue de promouvoir la fraternité universelle.
LA PENSEE PHILOSOPHIQUE FIGEE DU MOYEN AGE EUROPEEN
Au Moyen Age, l'esprit européen était dompté par la pensée unique des Pères de l'Eglise. Tout l’art médiéval et toute méditation de l’esprit ne pouvaient servir qu’à consacrer la même Foi, consacrée à la seule glorification de Dieu en Christ. Toute la pensée philosophique était alors limitée à se conforter dans les préceptes des Saintes Ecritures, considérées comme la révélation divine de la seule Vérité qui puisse exister. La raison devait donc toujours servir une Foi unique, contrôlée par la Papauté romaine.
Néanmoins, au XIII° siècle, par suite des nombreuses traductions en latin (qui était la langue commune européenne de publication jusqu’au XVII° siècle) d’ouvrages traitant de la pensée d’Aristote, lus et appréciés par les doctes religieux de l'époque, il s'était posé le souci d’harmoniser cette nouvelle pensée, très enrichissante mais profane, avec celle des Pères de l’Eglise.
C'est alors que le plus grand théologien de l'église romaine, Saint Thomas d’Aquin (1226-1274), réussit à intégrer la rationalité aristotélicienne dans sa fameuse "Somme théologique" qui sert encore de nos jours à définir la théologie de l’Eglise catholique. Il y adapte notamment la distinction aristotélicienne entre l’essence et l’existence, pour soutenir qu’en Dieu seul l’essence se trouve incluse dans l’existence, alors que c’est l’intervention de Dieu dans l’essence de l’homme qui justifie l’existence de celui-ci. Cela permit à la scolastique thomiste de dépasser le raisonnement de Saint Augustin (354-430), qui avait soumis la raison au service de la Foi. De la sorte, la philosophie profane d’Aristote fut, elle, récupérée pour devenir la servante de la théologie chrétienne.
Néanmoins, le doute intellectuel demeurait toujours condamnable par l'orthodoxie catholique romaine, à travers les interrogatoires de l’Inquisition ou bien par la mise à l'Index des ouvrages à philosophie douteuse à partir du XVI° siècle. Il y avait donc toujours une menace sur la progression de la philosophie sous l’œil inquisitoire de Rome. Aussi, l'Angleterre, en devenant anglicane en 1534, bénéficiera t elle d’une certaine indépendance idéologique pour ses penseurs, à la différence de la France, d’où même Descartes avait dû la fuir en 1637 pour se réfugier en Hollande, pays protestant et tolérant, à la suite de la mise à l’Index de son ouvrage "Discours de la méthode" qui prône le "doute systématique".
L’EXCEPTION ANGLAISE ET LE STATUT PARTICULIER DE L'UNIVERSITE D'OXFORD
Une exception culturelle anodine avait marqué la genèse de la pensée anglaise dès le lendemain de sa conquête par Guillaume le Conquérant : c’est l’arrivée des premiers Juifs qui accompagnaient le Duc de Normandie. Parmi eux, en 1073, se trouvait un astronome, Pedro Alfonso, qui va pratiquer ses recherches sans être soumis à la censure ecclésiastique chrétienne qui contrôlait toutes les sciences de l’époque. Et Pedro Alfonso, non chrétien, introduira dans le jeune royaume d’Angleterre, une nouvelle tradition de recherche scientifique, débarrassée du carcan de la conception ptoléméenne du monde, datant du II° siècle et plaçant la Terre au centre du monde, sous un ciel fermé dans une demi coque abritant les astres fixes des étoiles, et où seuls le Soleil et la Lune tournaient autour de la Terre. Il inaugura une nouvelle façon de penser l'astronomie avec des instruments de mesure et des calculs mathématiques.
Cela permit au siècle suivant (XII°), notamment à Robert Grosseteste, d’appliquer les mathématiques à toutes les sciences de la nature tout en y pratiquant l’observation et l’expérimentation pour tester les hypothèses avancées. L’empirisme venait donc de naître dans la recherche anglaise.
Cet empirisme naissant se trouvera renforcé, au XIII° siècle, par les travaux pratiques du moine franciscain anglais, Roger Bacon (1214-1294), l'un des esprits les plus éclairés du Moyen âge, considéré comme l’ancêtre de la science expérimentale, auteur de plusieurs ouvrages sur l'optique (qui servait l'astronomie, base des sciences modernes) et sur ses découvertes chimiques parmi lesquelles la formule de la poudre. Aussi, sa phrase mémorable en dit elle long sur son apport méthodologique : « La preuve par le raisonnement ne suffit pas, il faut en plus l’expérimentation ».
En ce même XIII° siècle où l'on consacrait la philosophie thomiste à Rome, le moine Franciscain Duns Scot (1265-1308) professait en Angleterre comment distinguer le domaine de la foi, non soumis au raisonnement dialectique, du domaine profane qui doit bénéficier de réponses sans mystères.
Au XIV° siècle, un autre moine Franciscain anglais, William of Occam (1285-1347), s’opposa avec force à ce que le Pape s’immisce dans les affaires temporelles. Il prêchait de séparer le domaine de la foi des autres domaines humains, où il suffit d’user du bon sens pour décider du bon choix.
Enfin, faut il rappeler que l’esprit revendicatif de libertés individuelles s’était affirmé très tôt en Angleterre, dès la « Grande Charte » de 1215 par laquelle Jean Sans Terre reconnut à la noblesse le droit de s'opposer à toute nouvelle levée d'impôts sans leur consultation préalable.
Toute cette avancée méthodologique de la pensée anglaise va prédisposer l'Université d'Oxford, dès sa création au XIII° siècle, et avant même la réforme de l'Eglise anglicane en 1534 qui affranchira définitivement la politique anglaise des pressions de l'Inquisition, à accueillir bien avant les autres pays du continent européen, tous les ouvrages de l’Antiquité et de la civilisation arabe qui étaient censurés par l'Eglise. L’Université d'Oxford était ainsi devenue, très tôt, le plus grand centre européen de recherche, annonçant l’éclosion future en son sein de la révolution scientifique newtonienne ainsi que les grandes inventions mécaniques qui accoucheront de la révolution industrielle au XVIII° siècle en contribuant à la suprématie économique de l'Angleterre sur le reste du monde.
L’APPORT DE « L’ACADEMIE » DE FLORENCE A LA PENSEE DE LA RENAISSANCE
Alors qu’au niveau européen l’enseignement et la diffusion des idées nouvelles étaient sévèrement contrôlés et soumis à l’Inquisition, il s’est trouvé que, à la faveur du Concile de réconciliation des 2 Eglises d’Orient et d’Occident, réunies à Florence en 1439 aux frais du grand mécène Cosme de Médicis, ce dernier obtint du Pape l'autorisation de libre circulation des ouvrages grecs, notamment de Platon, des néo-platoniciens et d’autres auteurs de philosophie hermétique jusque là interdits. Et il en profita pour créer aussitôt à Florence, avec l’aide de l’érudit Grec Pléthon, une "Academia" sur le modèle de Platon. Celle-ci sera dirigée par Marsile Ficin (1433-1499), qui traduira tous les auteurs de l’Antiquité grecque enseignant l'union de l'âme humaine avec Dieu par la contemplation et l'extase.
L'apogée de cette "Academia" fut atteint avec un philosophe de génie, Pic de la Mirandole (1463-1494), mort empoisonné probablement pour avoir puisé dans l’astrologie et la Kabbale sa science de la « Magie Naturelle », qui allait bouleverser la pensée unique et l’ordre établi et cautionné par l’Eglise en cherchant à réaliser le bonheur de l’homme sur Terre. En effet, sa Théorie de la « Magie Blanche » avait pour résultat d’offrir à l'homme, désormais libre de ses choix, la capacité de manipuler les secrets de la Nature, dont les lois occultes pouvaient être redécouvertes grâce à des recherches ésotériques antiques et païennes ainsi que des travaux kabbalistiques, le tout étant proscrit par Rome.
Il faut bien avoir présent à l'esprit que ces « sciences » antiques et occultes représentaient une nouveauté extraordinaire pour les intellectuels du Quattrocento, les qualifiaient de connaissances « magiques » de la nature parce que la science moderne n’était pas encore née. Cela offrait à l’homme de redécouvrir les lois de la Nature, et qui lui avaient été cachées depuis sa déchéance par le péché. Il pouvait désormais étudier les textes « anciens », comme sources de cette connaissance primordiale, datant d’avant le Déluge.
Mais, pour y prétendre, il fallait une illumination de l'esprit qui ne pouvait être obtenue qu’après sa purification grâce à une discipline d'extase et de contemplation, à laquelle seule une élite, les « Mages », pouvait accéder. En effet, si Dieu, maître de l'univers, avait fait en sorte d'en cacher les secrets, c'était bien pour ne plus les divulguer aux impurs : il usa alors de symboles et d’hiéroglyphes qui ne sont accessibles à la compréhension humaine que par méditation et mysticisme.
La Renaissance italienne avait ainsi découvert la clé de la connaissance ultime dans « l'unité primordiale » de l'homme avec Dieu. C'est ce qu'on appela le mouvement "hermétique", issu des ouvrages d’Hermès Trismégiste (càd 3 fois puissant), qui aurait transmis l’enseignement des « sciences » à une élite de l'Antiquité égyptienne pour perpétuer le savoir issu de Dieu. Et la connaissance de ces mystères divins fut alors assimilée à la « Magie Blanche ou Naturelle ».
Il faut ici retenir que cette interprétation ésotérique corroborait la légende biblique de la colonne de marbre retrouvée par Hermès après le Déluge, sur laquelle étaient gravés les 7 Arts libéraux, somme de tout le savoir de l'humanité, et que les maçons du Moyen âge étudiaient à travers leurs "Anciens Devoirs" ou "Old charges". C’est ce qui leur donnait une très haute idée d'eux-mêmes, s'estimant les héritiers de la « Connaissance » des Temps Anciens, les amenant à sévèrement réglementer l'entrée dans leur métier en le protégeant par "le Mot de Maçon" tenu secret.
Et, à l'effet d'atteindre à cette "unité primordiale" entre l'univers divin et l'homme, la tolérance était de règle dans le travail d’équipe qui se pratiquait à l'"Academia" des ducs De Médicis à Florence. Aussi, avait-elle pour devise la célèbre phrase de Pléthon, prononcée à la réunion conciliaire des 2 Eglises, à Florence, en 1439 : « Chaque religion n’est qu’un morceau du miroir brisé d’Aphrodite ».
Ce modèle florentin sera le fondement de la Renaissance à travers tous les « salons philosophiques » de l’Europe qui adoptèrent la principale des « 900 thèses » de Pic de la Mirandole : « La liberté est un don de Dieu à l’homme pour qu’il choisisse ses croyances sans condamnation ».
LA PARTICULARITE DE LA RENAISSANCE ANGLAISE AU XVI° SIECLE:
LA REFERENCE MORALE A SIR THOMAS MORE, LE SOCRATE ANGLAIS
L'ère de la Renaissance se caractérisa par la formation de l'Etat moderne, centralisé, exigeant des ressources financières en constante augmentation. Cela opposait les monarques à la noblesse et à la bourgeoisie d'affaires, dont les révoltes firent douter du droit divin du pouvoir royal hérité du Moyen âge. Aussi, Machiavel (1469-1527) expose-t-il, dans "Le Prince", comment la ruse, la duplicité et la cruauté froide et calculée étaient devenues le meilleur moyen de conquérir ou de se maintenir au pouvoir.
C'est dans ce contexte que Thomas More (1478-1535), à la fois philosophe, théologien, juge et surtout homme d’Etat au service du roi Henri VIII, va publier en 1516 « Utopie » (signifiant « nulle part »). Il y prône un système de gouvernement idéal, de type démocratique et socialiste, sans aucune tyrannie et sensé représenter un modèle de société parfaite où il n’y a ni calamité ni injustice. Il explique cet état de grâce par l’absence de propriété privée et par la tolérance religieuse.
Dans cette société idéale chacun a l’accès gratuit à l’enseignement professionnel de son choix, en vue d'exercer un métier pour vivre des fruits de son travail. Il n’y existe pas de ségrégation sexuelle. La religion pratiquée y est un théisme neutre, sans confession particulière, où seule la loi morale demeure en vigueur, et où les prêtres et pasteurs des différentes confessions sont choisis par leurs fidèles. Des cours d’instruction civique y éveillent la conscience politique des citoyens pour le bien commun. Et, à la différence de son contemporain Machiavel, Thomas More s’oppose à la raison d’Etat comme moyen de gouvernement, préférant qu’elle demeure soumise au bien-être général.
Par l'exemple de sa vie publique et par ses œuvres littéraires, Sir Thomas More avait donc préconisé une refonte totale de la société anglaise en vue de réaliser le bonheur de tous les citoyens, pendant que l'Angleterre était gouvernée par un tyran, Henri VIII, à l'image des autres Etats européens. Et il suggérait, 200 ans avant la naissance de la Franc-maçonnerie, que la société puisse vivre un jour dans une parfaite harmonie sous un système de gouvernement socialiste et humaniste. Et son immolation en 1536 par Henri VIII servira d'"exemple socratique" aux futures générations anglaises, pour le bien-être général.
Grâce aux idées progressistes diffusées par l’ « Academia » de Florence et par l’ « Utopie » de Thomas Moore, le gentleman anglais repensait le monde pour en découvrir les lois cachées avec l’espérance qu’un nouveau bonheur social remplacerait les malheurs du siècle passé, marqué par la guerre, la disette et la « Peste Noire »… Il s’apercevait que, désormais, par son travail et sa volonté, il pourrait changer l’ordre des choses en fonction de ses compétences, le travail n’étant plus considéré comme punition du péché originel, mais comme libérateur de sa condition passée d'homme soumis et ignorant.
Cette idéologie humaniste de la Renaissance anglaise initiée par Thomas Moore sera encore renforcée, moins d’un siècle plus tard, par les travaux d'un autre grand homme d'Etat, Francis Bacon. De la sorte, l'histoire des institutions politiques anglaises est-elle jalonnée par la prééminence de ces deux grands hommes d’Etat à la pensée révolutionnaire, ayant pour principal souci d'améliorer la gouvernance de leur pays au service du bien-être général, au lieu de servir les seuls intérêts du Roi, comme cela se passait en France et ailleurs sur le continent européen.
Cette grande différence de système de pensée et d’action politique peut s'expliquer des deux façons suivantes:
d'abord, à la suite de sa rupture avec le Pape, en 1534, Henri VIII sécularisa les biens du clergé régulier, dont les 800 monastères et leurs dépendances représentaient le quart des richesses du royaume, et il les céda à bas prix à l’aristocratie et à la bourgeoisie terrienne qui lui furent très reconnaissantes en devenant ses alliées politiques, alors qu'en France et ailleurs les rois étaient aux prises avec les complots de leur Noblesse, toujours frondeuse et conspiratrice;
ensuite, l'isolement insulaire de l'Angleterre la protégeait jusqu’au milieu du XVI° siècle contre toute invasion venant du continent, l'Ecosse voisine (l’Irlande lui étant rattachée depuis Henri II), étant devenue son alliée par des mariages princiers, ce qui aboutira en 1603 à ce que Jacques VI d’Ecosse hérite de la couronne d’Angleterre à la mort de sa cousine Elisabeth 1ère d'Angleterre. Les monarques anglais pouvaient donc se consacrer tranquillement à la bonne gouvernance de leur royaume, encore faiblement peuplé (3 millions hab. au XVI° et 1 million en Ecosse).
FRANCIS BACON, UNE PENSEE EXPERIMENTALE AU SERVICE DU BONHEUR DE TOUS
A la Renaissance, à la différence de leur sens moderne, les « sciences » avaient un caractère commun, leur ésotérisme. Elles étaient libres d'interprétation en raison de leur nature occulte, de leur expression symbolique et de leur tournure mystique et mystérieuse. Leur apprentissage s’exerçait d’abord dans le secret des « salons philosophiques », à l'abri des regards intrus.
Cette ambiance intellectuelle aboutissant à des dérapages mystificateurs qui pouvaient révolter des esprits rationalistes, il s’est trouvé, parmi ces derniers, Francis Bacon, qui se battra contre cette forme d'obscurantisme ésotérique succédant à l'obscurantisme médiéval antérieur. Sir Francis Bacon (1561-1626) va inaugurer une nouvelle forme de pensée critique et rationaliste, fondée sur la logique expérimentale de Roger Bacon, et qu’il exprime dans l’ouvrage « Novum Organum », sous-titré "Nouvelle méthode pour interpréter la nature", publié en 1620, quand il était encore Lord Chancelier du roi Jacques 1er d’Angleterre/Jacques VI d’Ecosse, ce qui lui avait valu une très large diffusion nationale, notamment à Oxford. Il s'agit, en fait, d'un traité philosophique où il propose de faire « une purge de l’intellect », en faisant table rase des 4 catégories d’« idoles » qui encombrent l’esprit humain, et provenant de l’hérédité, de la culture du milieu, de l’ego personnel et de nos habitudes acquises dans la rue et le langage courant. Faire table rase de tous ces préjugés permettrait de réaliser l’homme nouveau, qui deviendrait libre, responsable et efficace au service de la société.
A partir de là, il estime que l’on n’a plus besoin de faire appel aux « Anciens » de l'Antiquité pour orienter notre action, mais qu’il faut plutôt innover avec de nouvelles idées pour repenser le monde à venir et créer des techniques nouvelles pour accroître l’efficacité productive et les richesses du pays en vue de réaliser un plus grand bonheur pour la société. Tout cela annonce le but de la Franc maçonnerie.
En outre, F. Bacon a inventé les concepts de « progrès des sciences », de gain de productivité et d’efficience comme facteurs de progrès et de bonheur social. A cet effet, il propose que la recherche devienne une œuvre collective pour accroître son efficacité de façon à entraîner un développement généralisé et accéléré du progrès au service du bien commun de l’humanité. Cela est lisible dans son roman « Nova Atlantis »(1626) où l’Etat crée des « instituts de recherche » pour favoriser les échanges entre savants du monde entier, de façon à écarter les « Mages de la Nature", glorifiés par la Renaissance.
Par ailleurs, la « Nouvelle Atlantide » prône la tolérance religieuse comme facteur de progrès général, grâce au savoir-faire des diverses communautés religieuses. Aussi, avait il plaidé pour le retour de la communauté juive, expulsée depuis 1290, ce que le Parlement autorisera en 1656.
LE ROLE DE L’« INVISIBLE COLLEGE » DE L’UNIVERSITE D’OXFORD
L’université d’Oxford est actuellement composée de 21 « College » datant de 1264 à 1874. Ils ont un statut exceptionnel de totale indépendance. Leur respect total de la part de tous a permis de conserver intactes leurs archives qui sont les plus riches du monde. Toutes ces institutions étant multidisciplinaires, il s’est trouvé qu’au XVI° siècle des affinités de pensée avaient regroupé des savants membres de différents « College » pour échanger leurs recherches sur des thèmes communs. Ces rencontres avaient fini par générer des groupes se réunissant périodiquement avec des règles internes de fonctionnement sous forme de cotisations et de cooptations, tout en se donnant une appellation spécifique d’identification. C’est ainsi qu’en dehors des 21 « College » officiels de l’Université d’Oxford ces groupes informels s’étaient donnés pour noms « Gresham College » regroupant des chercheurs en analyse monétaire, ou « Society of Antiquarians » en 1574 regroupant des chercheurs en civilisation des anciens druides, ou encore « Utopies » pour ceux qui se réclamaient de la pensée humaniste de Sir Thomas Moore. Ce dernier groupe s’appellera ensuite « Invisible College » en 1645 en raison de ses membres Rose+Croix.
L’« Invisible College » regroupait des chercheurs ayant pour souci de résoudre les contradictions de la société déchirée par le fanatisme religieux et par les tensions politiques entre le Roi absolutiste et le Parlement réclamant son pouvoir de protéger les citoyens contre l’arbitraire royal et les contribuables contre la levée d’impôts sans consultation des représentants du peuple.
Il faut ici mentionner que l’ancienne association des chercheurs universitaires d’Oxford membres de « Utopies » avait dû, au début du XVII° siècle, se subdiviser en 2 branches distinctes en vue d'accueillir le groupe des chercheurs de « society of Antiquarians ». En effet, celle-ci fut interdite en 1603 par le Roi d’Ecosse Jacques VI devenu aussi Roi d’Angleterre sous le nom Jacques 1er d’Angleterre en pourchassant les « druidistes » qui prônaient le retour à la civilisation celtique comme source de vérité ancienne au lieu de se référer à l’Antiquité grecque, comme cela se pratiquait dans toute la Renaissance européenne inspirée par l’Académie platonicienne de Florence. Cette condamnation du druidisme s’explique par son refus de croire au pouvoir royal de droit divin, dont le Roi Jacques était l’incarnation vivante.
Les deux nouvelles branches de "Utopies" avaient donc désormais pour caractéristiques :
-a) d’une part, le sous-groupe originel des chercheurs membres de « Utopies » était influencé par son chef Robert Fludd (1574-1637) qui prônait une conception du monde, à la fois gnostique et manichéenne, soutenant la thèse d’un « Dieu caché », càd non révélé, laissant agir les 2 grandes forces contraires, le Bien et le Mal, qui animent le monde, et entre lesquelles l’Homme doit avoir le libre choix pour agir et pouvoir alors, par sa vertu exercée dans son travail sur lui-même et sur la Nature, rejoindre la « Cause Ultime » et le « Tout en Un » de la philosophie hermétique. Il y a là une responsabilisation de l'homme libre qui va rapprocher ces penseurs de l'idéologie Rose+croix visant à transformer la société. Et, c'est pourquoi ce groupe se donnera en 1645 le surnom de « Invisible College » sous l’influence d’Elias Ashmole (1617-1692) et de Thomas Vaughan (1602-1666), tous deux rosicruciens, prônant les principes de tolérance religieuse et politique en cette époque de guerre civile, ainsi que la purification de l’être intérieur en vue de réaliser le grand œuvre alchimique d’une société parfaite. Notons pour mémoire que Vaughan avait édité en 1652 la première version anglaise de la « Fama Fraternitatis » et de la « Confessio » (publiés en 1614&15 en latin, en Rhénanie), 2 ouvrages basiques de la Rose+Croix, signés du pseudonyme Valentin Andrea, demeuré inconnu en raison de la règle Rose+Croix de l'époque exigeant, sous peine de mort, de ne jamais se dévoiler ni dévoiler les autres membres, d’où leur surnom d’ « invisible ». Et précisons ici que Sir Robert Moray, ami personnel du Roi Charles II et premier Président de la "Royal Society" en 1660, s’étant dévoilé comme « Accepted Free Mason » dans ses correspondances, était le patron spirituel de Thomas Vaughan, ce qui laisse penser que Vaughan s’était fait initier "Accepted free mason" en plus de sa qualité de chef des Rose+croix anglais, ce cumul initiatique étant pratique courante à cette époque où les 2 mouvements, « Rose+croix » et « Franc maçon accepté », se soutenaient dans leur quête occulte, dans le secret de leurs réunions et dans leur but commun de transformer la société sous la direction d’esprits éclairés et tolérants. Il était donc facile de comprendre l'attrait des gentlemen pour ces 2 écoles de pensée souhaitant l’avènement d’une société où la liberté de conscience et de culte viendrait côtoyer l'amour du prochain et la tolérance, sous les auspices d'un gouvernement royal inspiré par des savants et des philosophes humanistes ;
b) d’autre part, l’autre sous-groupe de « Utopies » était surnommé « Antiquarians » puis « Antients », par allusion à ses origines de la « Society of Antiquarians ». Celle-ci fut en effet interdite par le Roi Jacques 1er d'Angleterre en raison de leurs recherches sur les Druides qui avaient révélé qu'il n'existait pas de pouvoir royal de droit divin dans cette civilisation antique alors qu’ils la déclaraient comme ancêtre des britanniques et qu’ils avaient préféré se tourner vers elle pour y puiser la « vérité primordiale » que la Renaissance florentine cherchait dans les anciennes civilisations disparues d’Egypte et de Grèce. Et leur suspicion aux yeux de Jacques 1er se justifiait d’autant plus que ce Roi était féru d'Antiquité égyptienne et gréco-romaine tout en étant imbu de son pouvoir royal de droit divin. Et il faut ici ajouter que c’est grâce à l'érudit Elias Ashmole, initié « Accepted Free Mason » en 1641 et très intéressé par les recherches historiques de John Aubrey (1628-1697) sur les Druides, que ce dernier, 1er archéologue des temps modernes et chef du groupe des « Ancients »,a pu se faire initier avec les siens. Cette affinité de proximité entre "Antients" et "Invisibles" sous l'égide d'Ashmole, personnalité éminente s’il en fut, fit que les "loges » anglaises" se multiplièrent en accueillant des gentlemen attirés par l’esprit de liberté et d’harmonie sociale.
Une distinction idéologique s’opéra par la suite entre ces 2 sous-groupes de l’ « Invisible College », donnant deux points de vue opposés des gentlemen anglais du début XVIIIème: le premier, attaché aux traditions druidiques et appelé les « Antients » (cachant «Antiquarians »), croyant en un Dieu monothéiste et de tendance conservatrice; le second, appelé les « Moderns », plutôt déiste et partisan du progrès des sciences autour de Newton et Desaguliers au sein de la « Royal society ».
Cette dualité se répercutera plus tard sur l’évolution de la Franc-maçonnerie anglaise.
En effet, dans la même année 1717, six mois après la création de la « Grande Loge » dite de Westminster par J.T. Desaguliers et des Frères « Moderns » au solstice d’été, un groupe de Frères « Ancients » créèrent, au solstice d’hiver, une autre « Grande Loge » dite druidique. Ces 2 « obédiences » londoniennes se feront concurrence jusqu’en 1738 où, après la mort de Newton et de Desaguliers et sous la pression des « Ancients », elles réviseront les "Constitutions" de 1723 avec la foi en « Dieu révélé » qui remplace la « Loi Morale », pour ensuite fusionner en 1813 en « Grande Loge Unie d’Angleterre ». Or, c'est même « dogmatisme religieux » des "Antients" qui mènera à la rupture définitive entre les Franc maçonneries anglaise et française, celle-ci s’attachant à l’esprit de laïcité et au déisme des « Moderns », inspiré de « la philosophie naturelle » newtonienne au sein de la « Royal Society » et reprise par Anderson en 1723.
Cette "philosophie naturelle" visait à bâtir une société humaine à l’image de l’univers et de sa loi de gravitation symbolisant l’amour dans sa version d'acceptation de l'autre et d’harmonie, sans discrimination religieuse ni politique, comme dans la Genèse au temps de la 1ère civilisation humaine d'avant le Déluge. Cela ramenait donc à la « Loi Morale », sans les dogmes diviseurs des hommes.
LE ROLE DE LA « ROYAL SOCIETY »
Le profil de la « Royal Society » répondait exactement au vœu de Francis Bacon de voir regroupés savants et philosophes en vue de proposer la meilleure façon de gérer la société. Aussi, Charles II, dès son rétablissement sur le trône en 1660, les accueillera t il au sein de la « Royal Society » qu’il créa à cet effet, sur les conseils de Robert Moray, ingénieur et philosophe Franc maçon. Isaac Newton y fut élu en 1672 et la présida de 1703 à sa mort en 1727, favorisant l’avènement de la révolution technique prédite par F. Bacon et consacrant l’avance technologique de l’Angleterre pour les 2 siècles suivants.
Poursuivant la pensée humaniste de Francis Bacon exprimée dans « Nova Atlantis », le but de la « Royal Society » était de mettre en commun leurs travaux pour servir le bien commun de l’humanité sous l’égide de la sagesse et de la tolérance, qu'ils groupaient sous le nom de « la raison générale de l’humanité ». Aussi, ces préceptes humanistes se retrouvent ils dans le 1er article des « Constitutions » d’Anderson.
Et, cherchant à réaliser la bonne entente au sein de son groupe, la « Royal Society » estimait-elle que l’athéisme ne doit pas être « stupide », pour la simple raison qu’un tel ordonnancement de l'univers ne pouvait être que l’œuvre d'une puissance divine, dénommée «Grand Architecte ». Mais elle admettait, par contre, qu'une certaine forme d’athéisme, signifiant une opposition contre les dogmatismes religieux, puisse se développer chez ceux qui se révoltent contre tous les abus de pouvoir qui agiraient contre le bien-être de la société.
C’est pourquoi, en vue de sauvegarder l’harmonie en son sein, le règlement intérieur de la « Royal Society » avait interdit toutes discussions à caractère politique ou religieux et exigeait que tout désaccord entre ses membres soit exprimé avec civilité. Elle voulait ainsi servir de modèle de référence pour toute organisation sociale d’où doit être exclue la tyrannie politique et le fanatisme religieux. Et c'est ce qu'on retrouvera comme règles fondamentales des travaux en loge. Par ailleurs, grâce aux travaux scientifiques de l’équipe de Newton, l'univers, déjà reconnu infini par Giordano Bruno depuis 1584, se trouvait désormais gouverné par la loi de gravitation universelle stipulant que les mêmes lois d’attraction et d’harmonie régissent le ciel comme la terre, ce qui corroborait les contenus ésotériques de l’alchimie et de la Kabbale affirmant que « tout ce qui est en haut est comme ce qui est en bas », concept repris dans les hauts grades.
CONCLUSION
C'est justement contre les erreurs d'ordre épistémologique, en cherchant à distinguer le rationnel de l'irrationnel, dans le but de chasser les préjugés individuels et collectifs au profit d'une analyse hypothético-déductive de l'objet étudié qui puisse établir une vérité expérimentale remplaçant « la vérité primordiale » prévalant dans les esprits de la Renaissance, et tout en veillant à sauvegarder l'intérêt supérieur du bien-être de la société par-dessus toute autre raison d'Etat, que Francis Bacon, suivant les traces de son ancien prédécesseur et homme d’Etat, Thomas Moore, avait réussi à transmettre sa méthodologie scientifique, moderne et humaniste aux générations de chercheurs et de gentlemen de l'Angleterre du XVII° siècle.
C'est ce qui a fini par contribuer de façon décisive à la naissance en Angleterre, et notamment à Londres, de la Franc maçonnerie moderne, dite « spéculative », pour la distinguer nettement de la maçonnerie "opérative" et notamment écossaise du type Schaw.
Il est, certes, fort possible que la Franc maçonnerie ait, par un concours de circonstances historiques exposées dans ma prochaine Planche, pu emprunter son passage d' « Accepted » à travers des loges opératives écossaises du type Schaw, où étaient enseignés des sciences occultes comme « l'Art de la mémoire » et d’autres sciences ésotériques de type « hermétique » particulièrement affectionnés par la Renaissance, à côté des 10 Livres d'Architecture de Vitruve, tous ces enseignements nouveaux servant à actualiser le métier d'architecte maçon à la fin du XVI° siècle écossais, complétant les connaissances médiévales des "Anciens Devoirs".
En effet, le gentleman anglais ayant reçu le "mot de maçon" dans une loge opérative écossaise acquise aux sciences ésotériques, cela lui donnait le privilège d'être "reconnu comme tel" et d'être défendu par tous ses "Frères" partout, en Ecosse comme en Angleterre et en Irlande. Et, une fois rentrés en Angleterre après avoir reçu le baptême « Accepted » et le « Mot de maçon » en loge opérative écossaise de la part de vrais maçons opératifs, ces gentlemen ont dû vouloir se retrouver entre eux, comme cela est de coutume dans les « clubs » anglais, mais cette fois en dehors de la présence des "opératifs" anglais qui, eux, n’étaient pas du tout initiés comme les écossais aux connaissances ésotériques enseignées dans les loges opératives de type Schaw. Ils ont dû alors se donner le titre de « Free Masons » dans le sens où ils étaient libérés du métier opératif de maçon, non assujettis règles du métier, tout en recréant symboliquement leur "loge", spéculative cette fois, et pour des occasions spécifiques et ponctuelles seulement. Et ces réunions s’appelaient tout simplement « Loge » comme le mentionne si bien Ashmole dans ses mémoires.
Ces « loges » spéculatives avaient pour but, soit d’initier de nouveaux membres dignes de servir leur idéal commun de servir le bonheur de la société dans un cadre de tolérance et de progrès, soit d’échanger leurs analyses sur le devenir de la société anglaise qui vivait des moments très difficiles depuis 1625, date d’accession au trône de Charles 1er. Et comme elles se tenaient en secret, à l'abri du regard des non initiés, cela faisait croire qu’il s’agissait d’un réseau de conspirateurs politiques ou athées.
Les loges spéculatives anglaises n'avaient donc plus rien à voir avec les loges opératives écossaises des "statuts Schaw" servant à la formation des maçons architectes du métier, dans le but de rattraper le retard architectural de l’Ecosse par rapport aux grands royaumes européens de la fin du XVI° siècle. C'est pourquoi l'on surnomma "spéculative", c'est à dire philosophique ou construit par l'esprit en langue anglaise, cette Franc-maçonnerie typiquement anglaise, s'inspirant des principes humanistes de Thomas More et de Francis Bacon que l'"Invisible College" d'Oxford puis la « Royal Society » de Londres ont voulu mettre en application au XVII° siècle, avant d’aboutir, en 1717, à la naissance de la « Grande Loge » de Londres que James Anderson et Jean Théophile Desaguliers ont réglementé dans les "Constitutions" de 1723.
Il y est fait état d'un "centre de l'union de tous les hommes de bien et loyaux" qui seraient, à la fois, au service du perfectionnement moral individuel et de l'amélioration du bien être général.
Nadim Michel KALIFE,
économiste
RL " Tolérance & Solidarité" Or. de Lomé, GODF
Comments