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Photo du rédacteurMatéo Simoita

Athéisme et Franc-maçonnerie

Dernière mise à jour : 17 juil. 2020



La question de la spiritualité en Franc-Maçonnerie

Par définition, la spiritualité se rapporte au monde des esprits ! Plus largement elle englobe aussi le fait religieux et tout l'imaginaire immatériel.

On l'oppose à la matière et au matérialisme.

De nombreux francs-maçons en font une condition indispensable à l'initiation remplaçant en cela un des landmarks qui imposait la croyance en Dieu.

David Bisson (Docteur en sciences politiques et historien des idées, chercheur associé à l’Institut du Droit Public et de la Science Politique), la définit ainsi :


"La spiritualité reste à bien des égards un objet d’étude insaisissable dont le sens varie en fonction des périodes historiques traversées. Le terme naît au XVIe siècle et désigne tout ce qui touche à la vie de l’âme par opposition aux impératifs du corps. Il se définit essentiellement par rapport à son autorité de tutelle : la religion.


Ainsi comprise, la spiritualité se présente comme une manifestation du monde religieux qui insiste tout particulièrement sur la relation personnelle que le croyant entretient avec Dieu – sens très proche du terme « mystique » avec lequel il se confond parfois. Dans le Dictionnaire de spiritualité, le père Aimé Solignac propose une première synthèse du terme qui s’articule autour de trois significations :

  • un sens religieux qui reprend la distinction susmentionnée (spirituel/charnel) et qui insiste sur l’expérience intérieure de l’être,

  • un sens philosophique qui privilégie la distinction spirituel/corporel afin de mettre l’accent sur un mode de connaître spécifique

  • et un sens juridique qui se fonde sur la différence entre l’autorité spirituelle et le pouvoir temporel.

Et l’auteur de préciser que le premier sens a finalement prédominé sur les deux autres. Le Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique – selon le premier titre de cette œuvre commencée en 1928 et close en 2005 sous l’égide de la Compagnie de Jésus – a surtout permis de mettre en exergue l’existence d’une théologie mystique à côté de la théologique dogmatique."

Il peut paraître étonnant que ce mot ait pris autant de place dans les esprits comme si le religieux ayant mauvaise presse il était mieux de se déclarer spiritualiste !

Mais quel est le problème ? La franc-maçonnerie aujourd'hui accepte de facto plusieurs lectures et que l'on soit spiritualiste ou pas, religieux ou non croyant, cela ne nous empêche pas de nous rencontrer, de partager et aussi de fraterniser !


Rappel historique

La croyance en un Dieu unique fait partie des quatre landmarks édictés par James Anderson au XVIIIème siècle comme conditions de l'initiation maçonnique. C'était :

  • La foi en Dieu et en sa volonté révélée

  • Un comportement moral conforme à l’alliance avec Dieu

  • Le respect des lois comme signe de liberté

  • La pratique de la fraternité et de la bienfaisance comme règles du métier.

Le caractère dit sacré de ces landmarks a justifié les huit conditions de la régularité que la Grande Logie Unie d'Angleterre impose aux obédiences :

  1. La régularité de son origine, c’est-à-dire que chaque Grande Loge aura été créée par une Grande Loge régulière dûment reconnue et par trois Loges ou plus régulièrement constituées.​

  2. Que la foi au Grand Architecte de l’Univers et en sa volonté révélée sera une condition essentielle pour l’admission des membres.

  3. Que tous les initiés devront prêter leur obligation sur le Volume de la Loi Sacrée ou les yeux fixés sur ce livre ouvert par lequel s’exprime la révélation d’en-haut, à laquelle l’individu venant d’être initié est, sur sa conscience, irrévocablement lié.

  4. Qu’une Grande Loge et les loges bleues placées sous son autorité seront exclusivement composées d’hommes, et que chaque Grande Loge n’entretiendra aucun rapport maçonnique de quelque nature que ce soit avec des loges mixtes ou avec des corps qui admettent des femmes comme membres.

  5. Que la Grande Loge exercera une juridiction souveraine sur les Loges soumises à son contrôle, c’est-à-dire qu’elle sera un organisme responsable, indépendant et entièrement autonome, possédant une autorité unique et incontestée sur le métier ou les degrés symboliques (apprenti enregistré, compagnon du métier et maître maçon) placé sous sa juridiction, et qu’elle ne sera en aucune façon subordonnée à un Suprême Conseil ou à tout autre puissance maçonnique revendiquant un contrôle ou une surveillance de ces degrés, ni ne partagera son autorité avec ce Conseil ou cette puissance.

  6. Que les trois grandes lumières de la franc-maçonnerie (c’est-à-dire le Volume de la Loi Sacrée, l’Équerre et le Compas) seront toujours exposées pendant les travaux de la Grande Loge ou des loges placées sous son contrôle, la principale de ces lumières étant le Volume de la Loi Sacrée.

  7. Que les discussions d’ordre religieux et politique seront strictement interdites en loge.

  8. Que les principes des anciens Landmarks, coutumes et usages du métier seront strictement observés.

Est-ce à dire que cette obligation de croire en Dieu soit incontournable ?


Non et cela pour une simple raison dont on verra ci-dessous l'exposé.

Rappelons tout d'abord que les humains ont, dès leur socialisation, été confrontés à des interrogations pour lesquelles ils n'avaient aucune réponse : pourquoi le jour et la nuit, pourquoi le soleil, pourquoi la lune, pourquoi les étoiles, etc. ?

Les réponses ont été trouvées en faisant intervenir la capacité des êtres humains à conceptualiser l'imaginaire ; c'est ainsi que l’explication des inconnues qu’ils rencontraient fut trouvée par une intervention de forces invisibles. Selon les avancées des connaissances, les cultures locales et les différentes époques, tout un monde de l'imaginaire avec des mythes et des légendes s'est constitué. L'animisme, le polythéisme et le monothéisme font partie des croyances auxquelles les êtres humains se réfèrent.

La conceptualisation de la démarche maçonnique s’est formalisée progressivement en Grande Bretagne au XVIIème siècle comme une évolution de la franc-maçonnerie opérative. Celle-ci place son art comme une illustration d’une inspiration divine.

A cette époque, l’état des connaissances en Europe privilégiait une formation de l’Univers liée à une influence surnaturelle formalisée par la dénomination d’un Dieu unique. Il était logique, alors, de penser que tout ce qui était sur Terre procédait d’une volonté divine ; celle-ci devint donc la référence ultime avec le corollaire de la dichotomie Bien-Mal , Paradis-Enfer : comme il y avait une vie sur Terre, il y avait forcément une vie extra-terrestre.


Le gnosticisme apparaît plus comme une réflexion sur l’interprétation religieuse dans son mode clérical que comme une vraie remise en cause de la pensée religieuse.

Même si dès sa fondation, la franc-maçonnerie a mis l’accent sur la vie terrestre et la réalisation d’une belle harmonie, la règle essentielle restait d’obéir aux lois divines pour réaliser cette harmonie.

Dans le contexte des guerres religieuses de l'Angleterre du XVIIème, la franc-maçonnerie se singularise par des valeurs : la tolérance, le pacifisme et la référence à l'autorité royale ; dans ce contexte la formulation du Grand Architecte de l’Univers fut une avancée.

on ne peut pas dire que l'obligation de croire en Dieu était fondamentale ; c'était normale dans le contexte de l'époque !

Par contre, l'apport fondamental de la pensée maçonnique fut de concevoir la tolérance entre les différentes doctrines religieuses ! C'est au nom de cette tolérance, aujourd'hui, que l'on peut dire que la démarche maçonnique doit "naturellement" étendre cette tolérance aux incroyants et aux athées !


Vidéo : La sagesse de Pierre Perret

Au nom de Dieu ...


Regarder la vidéo "Au nom de Dieu" - Paroles et Musique de Pierre Perret


Depuis la nuit des temps

On s’étripe gaiement

Au nom de Dieu.

On continue pourtant,

En faisant toujours mieux.

Il est jamais content.

On lui a fait des églises,

Pour calmer son courroux,

Couroucoucou,

Des temples et des Mecques,

Où des femmes et des mecs

L’honorent à genoux.


Parmi tous ces mordus,

Ces millions de fanas,

Toutes ces brebis,

Y a ceux qui adorent Jésus,

Ceux qui préfèrent Allah,

D’autres leur canari.

Si t’es athée, sais-tu

Pour ces gars, t’es foutu,

Turlututu.

Ils disent que tu te goures,

Et que Dieu est amour,

Et après, ils te tuent.


On brûla les sorciers,

Les homos, sans-papiers,

Les Francs-maçons.

Et, même, on fit becqueter

A de pauvres lions

Blandine et les Garçons.

Le Bon roi Saint-Louis

Massacra les harkis

Jusqu’à Tunis,

Puis revint sous le gui

Mettre l’étoile aux Juifs

Et rendre l’injustice.

Charles-Neuf, le catho Offrit aux parpaillots Au nom de Dieu La Saint-Barthélemy. Les Irlandais, depuis N’ont pas fait beaucoup mieux. Monsieur Christophe Colomb

Qui, l’vendredi, n’aimait

Que le poisson Grilla au chalumeau Le grand Géronimo Qui mangeait du bison. "Pas de préservatif." Dit le souv’rain Pontife Au nom de Dieu Et cette manière sage De réduire le chômage En fit un homme heureux. Pis y a ces fous de Dieu Qui, au nom d’la vertu Chapeau pointu Egorgent bravement Des femmes et des enfants En lisant le Coran.

Depuis la nuit des temps On s’étripe gaiement Au nom de Dieu. On continue pourtant En faisant toujours mieux. Il est jamais content. Si ce Dieu juste et bon N’envoie ses oraisons Qu’à des tueurs Doit-on penser qu’alors L’oraison du plus fort Est toujours la meilleure? Doit-on penser qu’alors L’oraison du plus fort Est toujours la meilleure?


Pierre Perret


Respecter l'athéisme et la non-croyance, un défi pour la franc-maçonnerie contemporaine

Au XVIIIème siècle, même un Voltaire, qui s’est rendu célèbre en condamnant les fanatiques, ne peut que condamner l’athéisme : «Les athées sont pour la plupart des savants hardis et égarés qui raisonnent mal, et qui, ne pouvant comprendre la création, l'origine du mal, et d'autres difficultés, ont recours à l'hypothèse de l'éternité des choses et de la nécessité. »


C’est dans ce XVIIIème siècle, où émerge les notions d’Humanité et de Droits de l’Homme, que les rites maçonniques se développent : tous se réfèrent à la déité du Grand Architecte de l’Univers (et des Mondes) : L’initié franc-maçon ne pouvant trouver sa place que dans la position de « cherchant » pouvant espérer être un « servant » !


A cette époque l’évolution de la pratique maçonnique aboutit dans les faits à deux pratiques :

  • Une pratique en loges bleues (les 3 premiers degrés) où la référence au Grand Architecte de l’Univers se vit de façon plutôt formelle, l’essentiel étant la vie du franc-maçon dans la cité et sa relation avec le pouvoir (le roi ou la reine, l’empereur)

  • Une pratique des hauts grades où la référence déiste est omniprésente et justifie les différentes légendes qui sont accolées dans chaque rite.

Pourtant des voies s'élèvent pour revendiquer l'athéisme ; celui-ci s’affirme sur trois opinions :

  • La perversité du fait religieux

  • La glorification de la Nature

  • L’omniprésence de la souffrance jugée incompatible avec l’existence d’un Dieu bon et juste.

C’est au XIXème siècle, dans le contexte de l’émergence des revendications sociales, que le renoncement par les convents du Grand Orient de Belgique en 1872 et du Grand Orient de France de 1877 de l’obligation de la croyance en Dieu et donc de la référence au GADLU, créé une vraie ouverture des loges à des esprits non enclins à se référer à une idéation mystique.


Cette « révolution » ne concerne en fait que les instances conventuelles ; pour les loges bleues, il est laissé libre à chaque loge de garder ou nom la référence au GADLU ; les rites, eux, ne sont pas concernés par cette liberté nouvelle.

Une nouvelle manière de vivre son athéisme apparaît où l’indifférence et la banalisation permettent à des athées d’accepter d’adhérer à des rites qui sont fondamentalement déistes.

Il faut attendre le XXème siècle pour voir apparaître une autre entrée dans l’athéisme.


L’anticléricalisme, la glorification de la Nature et l’incompréhension face aux souffrances subies par les peuples ne sont plus au premier plan. L’athéisme ne se définit plus comme une croyance dans l’absence de vie surnaturelle. Les découvertes sur l’activité biologique cérébrale aboutissent à un double constat :

  • La pensée humaine est tributaire de l’activité biologique cérébrale ; et par conséquent, la pensée religieuse est dépendante de cette même activité cérébrale ;

  • Et le propre de la pensée humaine est sa capacité à créer de l’imaginaire ; la pensée religieuse étant une des plus belles illustrations de cette capacité créatrice de l’imaginaire humain.

Ces connaissances scientifiques n’empêchent d’ailleurs pas les religions de toujours bien se porter et d’entretenir entre elles des guerres qui leur permettent de justifier leurs existences.

Du fait des nouveaux équilibres entre l’Etat et la société dans les principaux pays européens, le fait religieux s’est vu conforté dans sa place au sein de la société civile ; les connaissances scientifiques n’ont pas bouleversé les relations entre croyants et non-croyants comme si un pacte de non agression avait été conclu. Mais ce qui a été vrai en Europe, ne l’est pas dans de nombreux pays du reste du monde où le pouvoir religieux reste très lié au pouvoir d’état et où les athées subissent une répression sans merci.


Malgré tout, la pratique maçonnique n’a pas beaucoup évolué et tout se passe comme s’il s’agissait d’un sujet qu’il ne fallait pas trop fouiller, chacun s’accordant à dire que la liberté d’interpréter à sa façon les mots, permettait d’utiliser des mots sans adhérer à leurs sens.


Aujourd’hui, seules quelques loges de diverses obédiences (pratiquant le rite français contemporain) acceptent de ne pas imposer une référence déiste formelle dans leurs travaux laissant aux déistes la possibilité d’intégrer leurs projections dans des expressions à plusieurs acceptions.


Cette liberté nouvelle laisse cependant « incertaine » l’interprétation de la légende d’Hiram au 3ème degré. Toutes les loges des ateliers dits supérieurs et toutes les loges bleues fonctionnant selon un rite déiste, imposent la référence à la déité, tout en acceptant que certains membres ne s’y réfèrent pas dans leurs fors intérieurs.

Il faudra sûrement encore beaucoup de temps pour voir l’ensemble des loges maçonniques adopter une approche tolérante complète vis-à-vis des athées.

Le Grand Orient de France n’a malheureusement pas poursuivi sa démarche qui aurait pu consister à réserver aux hauts grades la pratique de rites déistes ou qui aurait pu susciter la création de rites « neutres » capables d’être vécus avec autant d’authenticité par les imaginaires variés.

Malgré tous les non-dits et les ambiguïtés, l’originalité de la vie des loges provient de la grande tolérance qui permet une coexistence pacifique et un respect mutuel quels que soient les imaginaires de chacun. Dans un contexte mondial où les guerres inter-religieuses font florès, il est un espace social où le respect mutuel existe et permet de vivre ensemble.


L’actualité de l’athéisme procède surtout de la répression qui est imposée dans de nombreux pays du globe à toutes celles et tous ceux qui osent s’en référer.

Il ne semble pas nécessaire que les athées fassent du prosélytisme car, au total ce n’est pas très important d’avoir des croyances diverses et variées dans le domaine du surnaturel à condition que ces esprits acceptent de respecter celles et ceux qui n’y trouvent aucun intérêt particulier.

Dans ce XXIème siècle qui se caractérise par une recrudescence des guerres religieuses, la pertinence de la démarche maçonnique dans son essentiel , à savoir la recherche du centre de l'union, est plus que jamais d'actualité. En enrichissant la démarche maçonnique, l'athéisme apporte une plus grande dimension à l'exigence de tolérance et de laïcité , pour préparer un monde de paix pour croyants et incroyants.

Pour information :

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