C’est une magnifique œuvre d’un musicologue passionné qui nous fait découvrir son regard sur la musique européenne. La référence au Rite Ecossais Ancien et Accepté me semble être plutôt un prétexte.
La préface de Francis Bardot, Directeur honoraire des affaires culturelles et du Conservatoire Maurice Ravel de Levallois, chef de chœurs réputé et ancien vénérable de la loge de recherches Villard de Honnecourt de la Grande Loge Nationale Française a le mérite de rentrer dans le vif du sujet : la musique comme expression du sacré !
Gaël de Kerret prend soin dans le premier chapitre intitulé « Introduction et Méthode » d’expliciter la raison d’être de cet ouvrage :
« Si à ce titre la musique est associée à l’insaisissable et à l’innommable, c’est qu’elle contient en son sein la demande d’une adhésion à plus vaste que soi dont l’humanité balbutiera une expression au long des millénaires, ce qui sera la « monstration » de cet ouvrage. »
Puis débute un vaste panorama de la musique occidentale avec douze stations correspondant aux douze chapitres qui précèdent la conclusion.
Tout commence par « Dans le Monde grec, l’ordo est musique ! » ; cela permet à l’auteur d’expliciter ce qui dans le Rite Ecossais Ancien et Accepté lui semble compréhensible par le langage musical ; pour cela il s’appuie sur le contenu mythologique d’Hermès.
Puis vint « Le chant « grégorien», la parole ou la sibylle ! », où il est en particulier question de technique chorale dans un contexte d’influences liturgiques.
Avec « Le concile de Trente : la technè de la musique des sphères », on retrouve le rapport entre le chant et le sacré dans une église qui se veut « être lyrique et esthétique. » C’est dans ce chapitre que Gaël de Kerret aborde de façon précise la place de la musique dans les rituels maçonniques. Il le fait de façon méthodique tout en gardant la référence à ce qui se fait dans l’église : «Il est heureux que la Maçonnerie soit dans le flottement mais qu’elle ne s’interdise rien… à la manière de saint Augustin ! »
« De la Renaissance au baroque ! » nous montre comment l’artiste peut se réapproprier une nouvelle vision du Monde ; c’est un exercice de style riche de culture et qui expose, en filigrane, combien la religion n’a de sens que celui qu’on veut bien lui donner !
Avec « La Passion selon saint Mahieu de Jean-Sébastien Bach », « Toute l’œuvre de Bach - le 5ème évangéliste disent les protestants - est travail théologique. » et manifestement cela réjouit l’auteur.
Mais l’histoire impose son rythme et ses passions, « Pendant ce temps-là, en France… La profanation du Mystère » ; Louis XIV et le classicisme s’imposent ; on voit bien que cela ne satisfait pas trop Gaël de Kerret : « Du côté de la musique, la centralisation négative à Versailles a réduit considérablement le fait musical, donc l’épanouissement régional. » ; la déception se poursuivra avec la révolution française et la prétention de la raison d’imposer ses vues. « on ne peut faire abstraction de ce qui s’est passé en France(: la dissolution de la notion de Mystère. On a incarné le Cosmos dans un homme, un roi français assis sur sa chaise percée et qui sentait mauvais. C’est dire que le contenu de ce chapitre apparemment décalé, met tout simplement en lumière la profanation du Mystère fondateur, donc la musique. »
En abordant « Le Saint-Empire romain (germanique) ! », un climat nostalgique imprègne la plume de notre guide : cela aurait pu être parfait, semble-t-il penser ? « Cela n’empêchera pas les Grandes Constitutions de 1762 et 1786 d’avoir l’intuition que se déroulait malgré tout en cet Empire, une philosophie de paix et fraternité internes. Les compositeurs et musiciens en témoignent, qui ont voyagé facilement dans toute l’Europe pour partager leurs expériences à la manière des compagnons du2èmee degré du Rite. »
Nous quittons la force d’un empire modèle pour découvrir « De Mozart à Goethe, la musique femme ». Une magnifique interprétation de ce que l’auteur aurait préféré voir appeler « La flûte magique » où un thème nouveau devient une inspiration à prendre en compte même s’il déconcerte ! « Mozart va chercher les mythes égyptiens fréquentés par les Maçons de l’époque, mais cette acculturation est pourtant l’arbre qui cache la forêt. C’est plutôt une sensualité d’esprit qui trouve son medium dans la musique, c’est-à-dire le souffle de la flûte magique. »
Le voyage se poursuit avec « De Goethe à Gustave Mahler en Allemagne ! » et c’est d’une autre problématique dont il est question : « Cependant, la tension est maximum dans les musiques de ce siècle à cause de l’irrationnel de la sibylle qui parle quand elle le doit. Elle ne se contentera pas de la musique pythagoricienne rassurante mais mènera un désordre, une dissonance s’il le faut pour que l’homme transforme sa musique. Pourrait-on même dire que la musique stable et rassurante est la plus immorale car la sibylle n’y parle pas ? »
« La question copernicienne remise à l‘homme au XIXème siècle : la solution de Parsifal » permet à notre expert musicien de montrer comment « L’effet initiatique de l’héliocentrisme fut tel qu’il a fallu plusieurs siècles pour retrouver une sérénité dans les rapports de l’homme avec le numineux. » car le lecteur et la lectrice comprendront que c’est sa préoccupation essentielle. Avec Parsifal « Wagner, emporté par son génie intérieur, n’a pu que créer une œuvre initiatique. ». S’en suit une extraordinaire démonstration, aux accents alchimiques qui donnerait presque le vertige.
Gaël de Kerret aborde le XXème siècle à partir d’une citation d’André Malraux qui évoque en particulier « l’héritage de la noblesse du monde ». Il perçoit qu’ « au XXème siècle, avec ce renouveau des pensées musicales mises en œuvre de l’Antiquité au baroque, cet inventaire effectué, l’homme est prêt à prendre en charge en toute connaissance de cause le lien musical au sacré et les efforts de l’homme en ce sens, si tant est qu’ils soient d’accord entre eux sur le fait que l’archétype musique sera toujours en réorganisation permanente. » ; d’où le jeu de mots qui révèle une profonde attente « Alors quel cantique quantique ? ».
Mais l’essentiel est ailleurs pour qui sait que « La musique fait sa transmutation alchimique » ! Le voyage se termine avec une véritable profession de foi et d’espérance dans la capacité de notre modernité à prendre en charge la mission de la Musique à nous transmettre l’inspiration du « Numen » du Mystère.
La conclusion justifie le titre de l’ouvrage puisqu’il et question du Rite Ecossais Ancien et Accepté (REAA) bien qu’il en soit aussi fait référence dans les autres chapitres. Membre de la Grande Loge de l’Alliance Maçonnique Française, fervent promoteur du REAA, Gaël de Kerret reste fidèle à une orientation traditionnelle qui ne semble pas prendre en compte la spécificité de la franc-maçonnerie initiale pour privilégier l’interprétation mystique post-hiramique.
« Tout au long de ces chapitres, nous en avons senti la responsabilité plus ou moins bien assumée par les hommes, nous avons salué la transmutation de la musique spiirituelle semblable à celle du Frère le long des degrés ; nous en avons senti l’adéquation aux différents siècles, et nous avons senti comme une preuve de l’inouï en nous, une émotion indescriptible qui nous portait au centre de notre plus grande vitalité: «Ô homme, regarde en toi, tu as le ciel et la terre"» écrivait la musicienne Hildegarde de Bingen. »
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« L’ESPRIT-MUSIQUE ET LE REAA »
Auteur : Gaël de Kerret
Editeur AGAPAE - Neuilly-sur-Seine - Novembre 2020
Prix 20 €
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