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Photo du rédacteurMatéo Simoita

L'art et le symbolisme, une planche de notre frère Gérard, artiste peintre

NDLR : C'était un frère de mon atelier qui m'avait proposé cette planche ; malheureusement, il est décédé avant qu'elle ne soit publiée. Il avait incorporé le symbolisme maçonnique dans une partie de ses œuvres ! Artiste et franc-maçon, c'est quelque chose !



L’art peut être envisagé comme le lieu d’une tension qui présente de nombreuses analogies et imbrications avec le symbolisme.


L’art pictural, vu comme lieu privilégié de l’imaginaire, pose le problème de cette « folle du logis » comme l’a nommé Blaise Pascal, tant décriée par les rationalistes de tous poils, décriée par Platon lui-même qui n’y voit qu’un processus d’imitation, limité en tant que représentation maladroite, partielle et incomplète, de la réalité du monde « sensible ».


Platon se méfie de l’entreprise artistique, de sa prétention, à jouer inconsidérément avec la puissance du symbole.


Il lui reproche de stagner au niveau le plus bas de la perception de l’être, et par conséquent d’être une tromperie d’autant plus dangereuse qu’elle est ambitieuse. Illusion, barrière supplémentaire à la perception des idées, le monde des images serait une détournement de la forme idéale au profit de la forme sensible.


Si j’aborde d’entrée ce point de vue platonicien c’est pour indiquer où nous mènera une réflexion qui s’efforcera de faire apparaître l’originalité profonde du symbole dans l’Art.



A propos du rapport entre l’image et le signifié :


Sans doute à cause de la défiance pour ce qui touche à l’imaginaire en Occident, le vocabulaire qui lui correspond est peu clair, voire même dévalué : on parle ainsi indifféremment d’ "image", de "signe", de "symbole" ou d’ "allégorie".


  • Le signe : La première catégorie de signes concerne ceux qui font gagner du temps, qui renvoient à un sensible incontestable ; ils sont par conséquent arbitraires, variables, peuvent se dire par un chiffre, une lettre, un dessin ; ainsi en est-il pour signaler instantanément qu’une rue est en sens unique ou que Mr Martin habite au numéro 3 ;

  • L’allégorie : elle concerne surtout les concepts abstraits ; ainsi la Justice est représentée par une allégorie telle que chacun de ses éléments correspond à une partie du signifié : par exemple un personnage porteur d’une balance. L’allégorie est souvent plaquée sur une pensée préalable qui est la seule condition de son sens.

  • Le symbole : On pourrait définir le symbole comme l’inverse de l’allégorie ; comme l’écrit Paul Godet dans « Sujet symbole dans les arts plastiques », « Si l’allégorie part de l’idée abstraite pour aboutir à une figure, le symbole est d’abord figure et comme telle source, entre autres choses, d’idées ! » De par sa nature, le symbole est par conséquent une apparition de l’indicible, une épiphanie d’une part de la Réalité qui échappe aux organes de la perception ou à l’entendement rationnel. Gilbert Durand, Philosophe et anthropologue de l’imaginaire, précise « Ne pouvant figurer l’infigurable transcendance, l’image symbolique est transfiguration d’une représentation concrète par un sens à jamais abstrait. » Selon Paul Ricoeur, le symbole prend ainsi une triple dimension, cosmique d’abord puisqu’il est un élément du monde qui nous entoure, onirique ensuite dans la mesure où il s’enracine dans les rêves, les souvenirs et la grande mémoire de l’espèce, poétique enfin puisqu’il relève de la parole dans ce qu’elle a de plus "augmentique".

Autant l’image-idole se referme sur elle-même, autant l’image-symbole instaure un sens et reconduit à un au-delà du sensible.


Dans son autobiographie, Goethe explique que « Dans la Nature vivante et sans vie, animée et inanimée, je crus reconnaître quelque chose qui ne se manifestait que par des contradictions, et, par suite, ne pouvait être compris dans aucun concept, moins encore dans un mot. Cela ressemblait au hasard, car nulle conséquence ne s’y manifestait ; cela paraissait voisin de la Providence ; cela laissait entrevoir un rapport. »


La connaissance symbolique n’est jamais définitive, jamais close, jamais explicite parce que ne se référant pas à un discours préalablement établi. Elle est porte ouverte, réminiscence, reconduction du sensible aux formes. Acquisition d’un savoir indicible, pressentiment, le symbole définit la liberté de l’être humain dans sa dimension créatrice.


Si le symbole est cette tête chercheuse, s’il est investi de cette capacité épiphanique, on peut l’envisager comme un système de virtualités prenant leur source dans les structures archétypiques de l’inconscient et amenant progressivement la pensée consciente à s’orienter et à diriger son regard vers l’au-delà du monde sensible, vers l’Orient éternel.


Le symbole est donc trans-réflexif, médiateur entre le microcosme et le macrocosme, réconciliation avec l’univers.


Selon le mot de Bachelard, les symboles sont les « hormones » de l’énergie spirituelle.


La vie pulsionnelle ne s’épuise pas au contact du monde sensible ; un surplus semble chercher à s’investir. Le programme, inscrit dans les gênes, reconnaît dans ce qu’il est convenu d’appeler « la réalité » son propre visage, sans toutefois se satisfaire complètement de ce reflet qui laisse imaginer d’autres profondeurs. Ce « reste » qui cherche à se vivre n’est plus de l’ordre de la mesure, résiste à la description, grandit hors des structures du moi ressenties maintenant comme limites, et trouve dans le symbole son moyen d’exprimer ce qui ne peut se dire autrement.



A propos du Delta lumineux


En son centre l’œil balaie l’espace mais sa vie est de l’autre côté de ce mur, plus encore vers l’Orient. C’est un regard qui nous contemple et nous murmure :


« Fermez les yeux ; comprenez que ce mur sur le quel je m’allume, c’est le mur de la réalité extérieure, la muraille de votre aliénation ; je m’ouvre, bien sûr, mais en vous. Je suis l’œil intérieur ; Cet espace que je fixe, au-delà de l’espace de vos gestes, c’est celui de votre propre nuit, car je suis celui qui voit dans la nuit. Je suis l’outil de la transcendance et aussi j’écoute ! Je suis l’attention et figure la limite de la prise de possession du monde comme la limite du discours raisonnable. Je suis le regard de « l’Autre », cet « autre moi » qui vous renvoie aux bornes de votre propre « Moi ». Je suis ce « Toi » qui vous fais « Moi », cet ailleurs qui vous fonde et vous révèle. Je suis la représentation finie de l’infini et là où je vois, vous distinguerez le chemin qui mène au « J » perdu, « éternel présent de l’humanité ! »


« Je suis le témoin de la Présence ; celui qui préside à toute nouvelle initiation, le grand Activateur de la grande Mémoire. C’est moi qui fait « voir » le lit du fleuve comme mémoire des multiples passages de ses eaux. »


« Je vois l’âme, ses mouvances, ses contradictions et l’amène progressivement à réfléchir le monde en étant le monde. Je suis l’énergie qui cherche passage , perfore les reflets changeants du monde matériel, je m’anime dans l’épaisseur de l’onde ; je suis celui qui vous regarde et ce lui que vous regardez. Je suis le soleil de votre cœur ! »


Symbolisme et constitution du Monde


Cette sympathie qui s’instaure entre ce qui sourd du Moi profond et l’Univers, médiatisée par le symbole, relève aussi du monde de l’âme et introduit au sacré.


L’initié(e) est appelé(e) à ce mode d’être, à cette exigence, à cet appel-soumission, qui n’a de cesse, d’épiphanie en épiphanies, de rechercher la proximité avec le cosmos.


Il s’agit d’une harmonie pré-établie chargée de virtualités ; mais, en même temps il s’agit aussi de la liberté de l’être humain qui est de ne point consentir à la croyance et de vouloir émanciper les virtualités de leur gangue d’ignorance.


La liberté se définit alors comme une perméabilité à la Lumière, une capacité de vivre le symbole. Le psychanalyste Pierre Solié, auteur de « Le Sacrifice fondateur de civilisation et d’individuation », Editions Albin Michel, évoque « une ouverture d’une conscience à la recherche permanente d’elle-même. »



L’image-symbole fait le monde au lieu de le masquer et comme le dit si bien Bachelard «Soudain une image se met au centre de notre être imaginant. Elle nous retient, elle nous fixe. Elle nous infuse de l’Etre. »


Les paysages « imaginaux » (en rapport avec l’imago de l’insecte) sont l’occasion de nous rattacher à l’univers archétypique pour assumer notre singularité existentielle. Le symbole doit alors se décrypter comme un poème ; il développe son sens au moment où il est interrogé, absorbé, digéré par une conscience troublée. Il ne livre réponse que là où il est questionné, confronté à un sens intérieur qui se cherche. Il est l’occasion donnée à un mouvement de la psyché de se corporaliser, de fixer quelques éléments de sens qui, autrement, n’auraient fait qu’affleurer le conscient sans y trouver la structure sur laquelle cristalliser.


Entre les réalités objectives intérieure et extérieure s’instaure une dialectique ; de ce mouvement rythmique se constitue l’âme et notre vision du cosmos.



L’Art et le symbolisme


Il est frappant de constater que nos contemporains, en même temps qu’ils ont perdu l’accès à l’âme, se tournent comme par compensation vers la production artistique.


L’art symbolique récuse l’idée d’un progrès continu ; par contre, il imagine une progression de la conscience de notre appartenance au monde et dans notre lien avec nos origines.

L’art symbolique se nourrit de notre expérience du destin qui débute toujours à l’instant présent.


Paul Klee formule ainsi cette exigence : « Au sein de la Nature, à la source de la création, là où git, gardée, la clef secrète de toute chose, élus sont ceux qui vont jusqu’aux abords de ce monde secret où la vie originelle nourrit toute évolution. »


Et René Magritte précise « Ce que l’on voit sur un objet est un autre objet caché ! »


Un mot doit être dit de l’esthétique comme science du Beau. Ne pourrait-on pas affirmer que l’esthétique n’est pas liée à une culture donnée : elle est universelle.


Il ne faut pas confondre l’esthétique et la Beauté ; cette Beauté qui est un des flambeaux de la loge est issue de la conjonction des contraires ; beauté qui émeut, qui touche comme un accord parfait, ample, unique et pourtant composite.


Le discours sur l’esthétique picturale s’inscrit dans le relatif ; il résulte d’une ambiance culturelle diffuse, du goût, c'est-à-dire de la mode, par conséquent d’une habitude.


L’esthétique est un code qui ne représente rien en lui-même sinon qu’il renvoie à la sensibilité d’une époque ; une sensibilité exagérée au style particulier d’un peintre cache inéluctablement l’arrière plan, s’il existe !



Lecture de l’œuvre picturale


  • Le premier contact est sensation brute ; la psyché réagit au choc des couleurs, à la répartition des masses ; cette première approche est de l’ordre de la caresse et du plaisir sensible ; la pâte elle-même ne laisse pas indifférent et l’envie est fréquente de toucher ces rugosités qui accrochent la lumière.

  • Viens ensuite la reconnaissance du thème ; c’est le moment où apparaissent des connotations avec la mémoire culturelle ; un jugement se forme à tendance sentimentale ou intellectuelle.

  • Une attention plus soutenue sensibilise au rythme ; des réactions plus profondes apparaissent : adhésion, répulsion, trouble, attirance, etc. C’est le moment indéfinissable où peuvent apparaître des correspondances mystérieuses.

  • Dans le meilleur des cas, l’œuvre d’art atteint l’être humain par-delà l’éducation, les conditionnements, les distinctions entre positif et négatif.

Est-il prudent d’aller plus loin ? Est-il possible et souhaitable de s’interroger plus avant sur les figures qui s’animent dans un tableau ? Qu’elles soient figures du temps dans son symbolisme végétal, figures de la matrice dans son symbolisme de la Terre-Mère dévoreuse et donneuse de vie, figures de l’esprit dans son symbolisme minéral, figures des soubassements archétypiques dans son symbolisme marin, figures labyrinthiques ou autres …. ?


L’aventure picturale donne en pâture à l’imagination créatrice des éléments ; ceux-ci vont donner des images et l’œuvre naîtra pour participer à l’âme du monde.


Dans notre univers cacophonique où les tensions maltraitent la prima materia originelle, l’aventure picturale est d’abord une ouverture, une suggestion à un autre mystère, celui du sens.


La tyrannie des formes muettes est transformée par une dialectique des éléments de l’œuvre ; cette dialectique est rythme, zone de transition ; et c’est ainsi que la peinture devient un exercice de liberté.


Terminons par cette citation de René Huyghe (1906-1997) qui eut une carrière de conservateur du Musée du Louvre, psychologue et philosophe de l’art, professeur au Collège de France et académicien français :


« L’Art sait tâtonner, pareil à une racine, vers l’humus ténébreux d’où monte la sève quin ne devient féconde qu’après avoir été élaborée ; qu’il se borne à la surface du sol et il pourra, tel un miroir, capter les splendeurs du réel, mais il ne saura résister à en faire la matière docile où projeter l’empreinte des lois de sa pensée ou des mouvements de sa sensibilité. Il peut se transformer encore et devenir comme un chant qui s’élève ; il sait qu’il est musique ; il transforme et transfigure alors toute réalité ; il l’emporte dans un mouvement qui décollant du sol, s’élance vers l’espace d’en-haut ! »


NDLR : C'est avec beaucoup d'émotion que nous pensons à lui !

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