Une légende qui s'impose comme légende fondatrice
Les historiens (et en particulier Roger Dachez) ont reconstitué les conditions qui ont permis, en Angleterre au début du XVIIIème siècle, d'imposer cette légende comme la légende fondatrice de la Franc-Maçonnerie primordiale, celle qui se limite à trois degrés. On sait aujourd'hui combien la personnalité de Christopher Wren a pu jouer un rôle (voir l'article de Marc Labouret)
Bien que des intérêts "divers" ont voulu rajouter d'autres légendes, inventer des rites plus ou moins délirants, cette légende demeure une référence qui mérite d'être comprise et explicitée.
Notre apport souhaite se situer sur trois points essentiels :
comprendre l'incorporation de la légende d'Hiram dans le corpus maçonnique,
La légende et la pensée de René Girard,
La légende d'Hiram, une réalité contemporaine.
La légende d'Hiram appartient à la catégorie des légendes qui se sont surtout développées au Moyen-Age en Europe.
Elle semble en lien avec les légendes qui ont identifié les corporations de métiers et en particulier avec celles de Maître Jacques et de Père Soubise.
Fondamentalement ces légendes renvoient à une culture païenne plus ou moins rejetée par l'église.
La légende d'Hiram et les autres évoquent en particulier le devenir du cadavre ; pour l'église, le cadavre n'est que "poussières", alors que dans la croyance populaire le cadavre peut avoir un devenir. C'est le cas pour les trois légendes de Maître Hiram, de Maître Jacques et du Père Soubise.
A noter le lien que font les auteurs anglophones avec La légende de Wieland, le forgeron, que l'on retrouve dans le personnage mythique de Tubal-caïn, mentionné dans la Bible.
On comprend mieux pourquoi cette légende d'Hiram a été incorporée au corpus maçonnique et pourquoi elle a, au début, constituée une référence.
La pensée de René Girard appliquée à la compréhension de la Légende d'Hiram
A l’origine de ce mythe « sacrificiel », qui, pour René Girard, est nécessaire à la cohésion du groupe et à sa perpétuation, il y a le désir mimétique, avec sa triangulation (l’objet du désir, le désirant et le médiateur), que l’auteur met en valeur dans le processus d’émergence de la violence.
Dans le mythe d’Hiram, l’objet du désir c’est le « secret » que possède Hiram, en position de médiateur ; les désirants, ce sont les mauvais compagnons «possédés » par leur désir mimétique du « secret » d’Hiram. Le meurtre d’Hiram, élément central de la légende, se déroule comme un sacrifice rituel magnifié par la « réincarnation » d’Hiram dans un nouveau maître.
Le travail de René Girard, qui complète d’autres travaux importants sur les pulsions des groupes, permet de comprendre l’importance des mythes et leur permanence sous des formes voisines dans les différentes civilisations. Il permet aussi d’observer le fonctionnement des loges et des obédiences, et en particulier leurs querelles historiques !
Mais la pensée girardienne permet aussi de « revisiter » l’importance du merveilleux défi de cet idéal de perfection que l’on nomme l’idéal maçonnique, idéal dans lequel la violence est évacuée par la revendication de l’individualité de chacun(e) dans la chaîne des solidarités et le traitement préventif de la violence par la pratique du rite.
La Légende d'Hiram, une réalité contemporaine
Il y a plusieurs lectures possibles de cette légende née au début du XVIIIème siècle ; la plupart se réfèrent à la symbolique du secret et de la transmission dans le contexte d’une volonté d’usurpation qu’il convient de combattre. Le courage et le sacrifice s’imposent au héros qui devient un modèle.
On peut aussi la comprendre différemment !
Le cadre de cette légende, c’est un chantier de construction ; ce chantier symbolise aussi plus largement le modèle tribal de la socialisation initiale. On pourrait dire qu’au-delà du chantier, l’action se déroule sur le forum !
La révolte des mauvais compagnons met en scène la déstabilisation du groupe social ; contrairement à ce qu’on peut penser par ailleurs, les qualités professionnelles de Maître Hiram n’ont pas garantie la cohésion sociale du groupe qu’il dirigeait. Ce groupe s’est profondément divisé au point qu’une révolte fut fomentée et il sera profondément désuni par le meurtre qui s’ensuivra !
Face à cette situation, il faut trouver une solution !
L’appel à la solidarité, la sacralisation du défunt et la formalisation de nouveau mot secret sont destinés à resserrer les liens communautaires et à les magnifier.
L’initiation de nouveaux maîtres à partir d’un rituel qui formalise le drame vécu par le groupe a pour objet de valoriser la cohésion comme élément fondamental du devenir du groupe !
Au total, au premier degré de compréhension de cette légende, l’élévation à la maîtrise place l’existence du maître sur le plan de la vie collective ; sa responsabilité est magnifiée : il se doit fidèle au devoir de l’obéissance et au respect de l’intérêt collectif !
Si on comprend cette légende en l’intégrant dans l’histoire des sociétés humaines, on peut aussi constater qu’elle nous interroge quant à une problématique universelle : tout groupe humain est soumis à un moment ou à un autre de son histoire à une implosion ; tout groupe humain aura à vivre les symptômes d’une possible désagrégation avec le risque de disparaître !
Le processus est immuable : un sous-groupe, pour bénéficier d’un passe-droit ou pour toute autre raison, est amené à tenter un coup de force contre le détenteur de l’autorité dont il conteste la crédibilité à exercer l’autorité qui lui a été dévolue ! Si l’entreprise réussit, les révoltés se trouvent investis du pouvoir ; si elle échoue, la transmission du pouvoir peut être modifiée et s’effectuer selon un rituel modifié !
Cette légende d’Hiram, si on l’examine sous l’angle d’une illustration de la problématique de la conservation de l’autorité morale par le détenteur qui en est le dépositaire voit son champ d’intérêt prendre une dimension universelle et intemporelle !
A toutes les époques, dans toutes les communautés humaines, toujours se pose le problème de la contestation de l’autorité.
Que cela soit au plus bas niveau de la vie sociale, c’est-à-dire dans la famille, ou au niveau de grandes communautés comme les nations et les états, l’autorité morale détenue par celle ou celui qui l’a reçue par un processus admis socialement, n’est jamais sûr d’être à l’abri d’une contestation illégale dans la forme qui pourra mettre fin à la fonction jusque-là exercée !
Cette réalité aboutit immanquablement à fragiliser le groupe, voire à mettre son existence en péril ; elle peut aussi favoriser un nouveau dynamisme qui permettra au groupe communautaire d’étendre son pouvoir et d’acquérir une plus grande puissance.
S’agissant d’un groupe philosophique, la contestation de l’autorité morale, quelle qu’en soit la raison, peut aussi s’interpréter comme la conséquence d’un vice de fonctionnement ayant abouti à confier l’autorité morale à un personnage n’ayant pas les qualités pour la détenir.
Dans le cas de la légende d’Hiram, les trois mauvais compagnons symbolisent l’ignorance, l’ambition et le fanatisme ; ces trois maux sont clairement identifiés comme la cause de la contestation de l’autorité morale avec l’objectif de prévenir leur apparition par le travail, l’humilité et la bienveillance.
La légende d’Hiram est aussi la justification de l’élévation à la maîtrise du compagnon franc-maçon à qui on propose de se voir réhabité par ce que représente Hiram qui ainsi, d’une certaine manière, se voit ressusciter ! On pourrait aussi comprendre ce rituel comme un clonage avant l’heure ! Mais n’est pas Hiram qui veut !
La légende identifie la problématique sur le plan éthique et propose une démarche visant à la prévenir ; cependant, il est clair qu’avec l’expérience on est bien obligé de constater que l’approche préconisée ne solutionne pas le problème qui lui perdure !
Les loges maçonniques n’arrivent pas à éviter le piège des querelles internes et de la division ! Le discours est toujours le même : « C’est la faute d’un tel ! » « Mais il n’a pas été à la hauteur ! » « C’est un mou, il est sous influence ! » , « C’est un dogmatique sectaire sans humanité ! », « Sous prétexte qu’il est dans les Hauts Grades, il se croit tout permis ! » , « Il m’a manqué de respect ! », etc.
« Plus maçon que moi, tu meurs ! » semble être la devise de tous les mécontents qui prétendent donner des leçons de franc-maçonnerie aux autres !
Mais au-delà des loges maçonniques, cette tendance à la division se voit aussi dans le monde profane avec des conséquences beaucoup plus graves !
La seule parade apparente au virus de la division et à cette contestation de l’autorité semble être le mode de fonctionnement militarisé et sectaire qui étouffe toute velléité de contestation !
Le choix serait-il entre « Contestation de l’autorité » et « Dogmatisme » ?
Là où la liberté existe, l’autorité pâtit ! Quand le dogmatisme s’impose, l’autorité repose !
En conclusion
La légende d’Hiram expose une problématique universelle qui jusqu’alors n’a pas trouvé de solution : l’autorité morale de tout groupe humain peut être injustement contestée et mise à bas ! La division reste le cancer qui limite la vitalité de tout groupe humain.
Notes : Quelques œuvres de René Girard, ( 1923 -2015 )
La Violence et le Sacré (1972)
Le Sacrifice (2003)
De la violence à la divinité (2007)
Le sacrifice (le rituel) rejoue mimétiquement la crise et sa résolution, ceci pour conjurer le retour de cette crise.
La victime sacrificielle est la première chose mise à la place d’une autre – le premier symbole. Le rituel répète la scène originaire où la communauté a frôlé le chaos ; il vaccine ainsi la société contre sa propre violence ; la culture va devenir possible.
A propos du livre "Hiram et Freud"
Interview des auteurs : Marie-Hélène Gonnin et Jacques Fontaine,
Edition Numérilivres - Une réalisation de Baglis TV
Cette vidéo nous a été confiée par un frère abonné à BaglisTV
C'est un sujet passionnant qu'aborde Jacques Fontaine et Hélène Gonnin dans leur livre : comment comprendre la démarche maçonnique d'un point de vue analytique et comment sortir de pratiques "inappropriées" pour améliorer e fonctionnement des loges.
Baglis TV en réalisant une interview remarquable des auteurs offre un commentaire de qualité. L'intégralité de l'interview qui dure près d'1 heure 30 est accessible sur Baglis TV, la chaîne de l'initiation
« Hiram » doit se lire de droite à gauche comme lisent les Hébreux et non de gauche à droite suivant l'usage des Européens : Hiram alors devient Maria, le heth « H » final en hébreu se prononce « A » ; Maria est devenue « Marie » chez les Gaulois. Maria ou plutôt Myriam, Déesse glorifiée en Égypte et surnommée « Hathor » (de Ha-thorah, « la Loi » en hébreu), est dite aussi « Marjolaine », dont on trouve trace dans une quantité de souvenirs antérieurs à l'invasion romaine.
Lorsque, après la conversion de Constantin, on chercha à introduire la religion nouvelle en Gaule, on comprit qu'il faudrait des siècles pour détruire le culte de la Nature,…