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Photo du rédacteurMatéo Simoita

La Marianne maçonnique

Dernière mise à jour : 7 nov. 2020


C'est une belle œuvre en bronze qui pare la "Marianne républicaine" d'un sautoir maçonnique. Elle décore le bureau du grand Maître du Grand Orient de France (GODF) et sa représentation figure sur de nombreux documents du GODF. Elle a donné son nom au Prix Marianne Jacques France (Jacques France en étant l'auteur) ; ce prix est remis chaque année à une personnalité s’étant distinguée par la défense constante des valeurs républicaines tout au long de sa carrière.


Le 4 septembre 2018, Jean-Philippe Hübsch, Grand Maître du GODF, reprenant une "tradition" des grands maîtres du Grand Orient de France, en a remis un exemplaire au Président Macron, à l’occasion du repas organisé à l’Elysée avec les grands maîtres des obédiences maçonniques.

C’est un geste honorifique dont ont bénéficié d’autres personnalités comme par exemple Robert Badinter et Simone Veil.


Cette pratique soulève deux questions :

  • Qui est son auteur, Jacques France, et dans quelles conditions l'a-t-il réalisée ?

  • Pourquoi s'en prévaloir aujourd'hui et en faire un symbole maçonnique ? Est-ce justifié ?


Paul Lecreux, dit Jacques France


Jacques France, de son vrai nom Paul Lecreux, naquit à Lille le 18 février 1836. (NDLR : merci au lecteur qui nous a communiqué son acte de naissance ci-dessous - à noter que dans certains documents, la date de naissance indique 1826)


Il fut initié en 1881 dans la Loge Etoile Polaire, du GODF à l’Orient de Paris .

En 1881, dix années après la création et l’échec de la Commune de Paris, celle-ci figure encore comme un rêve mythique auréolé d’espoir !

C’est cette même année que Paul Lecreux, alias Jacques France, acheva la réalisation de ce buste de Marianne ornée de symboles maçonniques, qui fut officiellement inauguré lors d’une tenue dans la Respectable Loge "La bonne foi" à l’orient de Saint Germain en Laye, sous le nom de La République Maçonnique.

On ne connaît pas trop les motivations de Paul Lecreux mais il semble que cette œuvre ait été dédicacée au Frère Rodolphe Burges qui l’aurait remis à sa loge mère « La Réunion des amis choisis » à l’orient de Béziers. "Il existe deux versions de la Marianne de Jacques France, la première avec un cordon de maître maçon orné de symbole maçonnique, la seconde dont le cordon affiche trois dates importantes dans l'histoire de la République, 1789, 1848, 1870." (source https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Lecreux)


Ci-dessous une vidéo dans laquelle Pierre Mollier, le célèbre historien maçonnique explique l'histoire de cette Marianne maçonnique.



Toujours est-il que ce fut un succès et l’œuvre, dans une version expurgée du sautoir maçonnique, devint le symbole de la IIIème République ; elle fut reproduite à des centaines d’exemplaires si ce n’est pas plus ! Les républicains de la IIIème République s’en emparèrent et elle orna tous les lieux officiels.


Mais revenons sur Paul Lecreux qui n’a pas eu une trajectoire de vie très facile et dont cette œuvre explique à elle-seule sa notoriété.


Né à Lille dans une famille de la grande bourgeoisie, son père étant un des entrepreneurs de filatures, il semble qu’il ait eu une enfance dorée mais que son tempérament artistique ne le prédisposait pas à s’investir dans l’entreprise familiale.


On le retrouve à Paris où il semble bien profiter de l’aide familiale, sans avoir pour autant une production artistique mémorable. Il se révèle querelleur, familier des tribunaux, addictif à l’absinthe et l’éther, et termine sa vie dans la démence à 68 ans (en 1894) en se suicidant par pendaison. (voir l"article de presse ci-contre)







Un symbole maçonnique du GODF au sens ambigu



Belle œuvre sculpturale, ce buste est devenu un symbole de la plus importante obédience maçonnique française, à la fois touchant, ridicule et passéiste :

  • touchant parce qu’il nous renvoie à ce frère dont la vie témoigne d’une souffrance profonde, mais qui a eu un éclair de génie en réalisant une œuvre qui a marqué son époque ;

  • ridicule parce qu’aujourd'hui, sous notre Vème République, comment accorder une crédibilité à une IIIème République qui n’a pas laissé que de bons souvenirs ?

  • Passéiste parce que ce symbole représente une velléité sans autre intérêt que de vouloir nous faire rêver à une impasse : qui, aujourd’hui, peut accorder un sens à une République « maçonnique » ?


Aujourd'hui, certains veulent en faire le symbole de la laïcité : c'est naturellement leur droit mais cela ne correspond pas aux intentions du sculpteur !

Ne serait-il pas temps qu’un-e artiste contemporain-e réalise une œuvre capable de symboliser toutes les valeurs de notre idéal maçonnique ?

Bibliographie :

- Histoire de La loge Etoile polaire

Edition du Centenaire Editeur, 1939


- La Loge de l'Etoile Polaire :

150 ans de Batignolles (et plus encore) la vie et les faits marquants de l'histoire d'une

Loge : 1766 - 1839 - 1989

Broché – 1989

 

Autre info : Le texte "officiel" du Musée du GODF

Marianne « maçonnique »

Jacques France (Paul Lecreux), 1887.

Bronze, 900 x 600 x 500 mm

Paris, musée de la Franc-maçonnerie. Num. inv. St.026

© Musée de la Franc‑maçonnerie

Tirage de la version maçonnique du buste de la République dédicacée par Le F... Lecreux (Jacques France) à son Ven... & vieil ami Rodophe Burges. Celui-ci, journaliste républicain et dignitaire du Grand Orient, l’offrit à sa « loge‑mère », La Réunion des amis choisis, à Béziers.


La Marianne de Jacques France fut un des bustes de la République les plus populaires. Elle devint l’effigie classique de la démocratie française sous la IIIe République et orna pendant des décennies les mairies des grandes, moyennes et petites villes de notre « douce France»…

À l’origine, elle est une commande pour une ancienne et importante loge de la région parisienne : La Bonne Foi, à Saint-Germain-en-Laye. C’est en janvier 1881 que son vénérable maître (président) demande au sculpteur et frère Paul Lecreux (Jacques France est son nom d’artiste) de réaliser un buste de l’effigie de la République pour une fête que la loge organise le mois suivant. Après quelques hésitations, le sculpteur relève le défi, et l’œuvre est solennellement présentée le 24 février 1881. Elle est appréciée et connaît un rapide succès dans le milieu maçonnique. Elle est d’abord officiellement adoptée par le Grand Orient de France, le 9 janvier 1882, puis par beaucoup de ses loges. Mais les maçons étant nombreux parmi les cadres du Parti républicain, l’idée vint d’en concevoir une version non maçonnique à l’usage des institutions municipales.

La période n’est pas indifférente : en 1881, après l’échec définitif de Mac-Mahon et du gouvernement d’ ordre moral » (1877), le Parti républicain prend peu à peu le pouvoir à tous les échelons du pays, du Parlement aux petites communes en passant par les conseils généraux. Jacques France réalise donc une deuxième version de sa Marianne où les symboles maçonniques sont remplacés par les grandes dates de la République : 1789, 1848 et 1870. Sous la présidence du vieux Victor Hugo, un Comité central des bustes de la République est constitué en 1882. On y retrouve tous les grands noms du Parti républicain, dont beaucoup de maçons : Emmanuel Arago, Louis Blanc, Jean Macé, Camille Pelletan, Frédéric Desmons, Gustave Mesureur…


Le Comité réunit la Ligue de l’enseignement, le Congrès anticlérical et, bien sûr, le Grand Orient de France. Des comités départementaux sont ensuite créés. Une active propagande s’engage alors pour diffuser cet « admirable buste de la République. Cet emblème [qui] fut aussitôt acclamé comme représentant mieux qu’aucun autre précédent, l’image de la République telle que nous la désirons ; noble et fière, souriant doucement à tous ses enfants. […] Il importe que chaque loge, chaque bourg et chaque commune de France possède avant peu le buste de notre République, symbole de l’amour de la liberté et de l’initiative Communale ». « Cet élan […] constituera un véritable plébiscite républicain », ajoute la lettre, abondamment diffusée par le Comité central. Le succès de la Marianne de Jacques France accompagne, sur le plan symbolique, le travail politique du Parti républicain visant à enraciner dans la France profonde les idéaux démocratiques.


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