Un frère malien d'une loge africaine nous propose son regard sur la situation au Mali ! C'est un grand honneur qu'il nous fait et nous le remercions très fraternellement. Ce regard, imprégné par sa connaissance de la réalité vécue, mériterait un large écho car, au-delà de l'analyse qu'il présente, il propose aussi une voie pour la Paix.
Depuis plusieurs mois la situation politique s’est dégradée au Mali au point d’aboutir en Août 2020 à un énième renversement du régime en place par une junte militaire.
L’approche retenue ici, n’est pas de passer en revue la suite des évènements qui se sont déroulés, ni de porter un jugement sur les différents acteurs qui les ont suscités ou orchestrés. La presse et les politologues y pourvoient largement depuis plusieurs semaines.
Il s’agit plutôt de soumettre quelques idées sur ce qui provoque systématiquement l’instabilité gouvernementale dans ce pays et modestement, sur le rôle que les FM pourraient jouer pour y mettre fin.
Après avoir mis à bas un régime militaire qui a régenté le pays de 1968 à 1991, une succession de régimes civils élus démocratiquement ont gouverné le pays jusqu’en 2012 où un nouveau coup d’état militaire a pavé la voie à un début d’une sempiternelle sécession Touarègue dans le nord vite supplantée, cette fois-ci par une invasion djihadiste qui déstabilise la moitié du pays.
L’intervention de forces étrangères ayant permis de contenir ces attaques a conforté le retour à un régime démocratique. C’est ce régime qui vient d’être balayé par le coup d’état du 19 Août, intervenant après plusieurs mois d’insurrection populaire.
Bref résumé d’un cycle infernal qui semble désormais de règle dans un pays dont un seul des 6 dirigeants en 60 ans d’indépendance, aura terminé sereinement, ses mandats au pouvoir. Alternances brutales, sous les vivas des foules exaspérées par le régime abattu du jour, en attendant de nouveaux applaudissements pour la chute de son successeur.
Le paradoxe de cet engrenage tient en ce qu’il survient dans un des seuls espaces africains qui a su générer, historiquement, un système étatique spécifique ayant maintenu la stabilité, la paix et la concorde pendant plusieurs siècles du 13e au 18e siècle.
Ces « Grands Empires » y avaient instauré un état fédéral, basé sur une constitution humaniste et égalitariste (la « Charte du Mandé ») ou le pouvoir central reconnaissait une originalité à chaque contrée, et à chaque habitant, des droits inaliénables, sauf au service de l’ensemble de la communauté.
Performance remarquable au vu des moyens de communication et de transports de l’époque, que de constituer une nation faite de peuples divers et dont aucun ne devait renoncer à son identité tout en adhérant aux empires successifs.
Les leviers majeurs de cette œuvre, furent une décentralisation maximale qui responsabilisait chaque région, des croisements inter-ethniques qui brassaient les populations, des parentés dites de plaisanterie qui régulaient, voire interdisaient les conflits, et des fraternités initiatiques (de groupes d’âges ou de chasseurs par exemple) qui solidarisaient les individus au-delà de leurs origines et leurs classes sociales.
Cette filiation historique n’a pris définitivement fin, après un déclin de 2 siècles, qu’à la période coloniale où fut inaugurée, dans cet espace, la notion d’État centralisé "nivélisateur".
Mais si l’initiation fut coloniale, il est bon de rappeler que la colonisation n’y aura duré que 65 ans de 1895 à 1960.
La période post coloniale a désormais presque la même durée. Mais elle a poursuivi et reproduit pendant ces 60 années, les systèmes centralisés appris du colonisateur, plutôt que de rechercher des modèles dans son histoire et sa propre culture.
Ne serait-ce pas ce hiatus qui condamne le peuple malien à une forme de schizophrénie institutionnelle qui génère autant de convulsions ?
Comment envisager un tel changement de modèle sinon par une remise en lumière des valeurs profondément humanistes qui ont été générées par la culture des peuples indigènes ?
Les incantations passéistes des griots encensent l’égo des peuples, mais n’enseignent malheureusement ni les méthodes réelles de gestions politiques autrefois pratiquées, ni l’importance du vivre-ensemble tolérant qui légitimait le pouvoir des souverains fédéraux.
Elles ne rappellent pas non plus assez, la tolérance cultuelle qui a permis l’acceptation successives des différents courants religieux venus se superposer aux animismes initiaux.
Toutefois, comment adapter ces fondations historiques, faites d’humanisme, de tolérance et de fraternité, au monde moderne dans lequel vivent les maliens ?
Peut-être est-ce le temps pour les francs-maçons du Mali de jouer un rôle significatif et salvateur.
Les valeurs fondamentales qui ont permis à un Mali pérenne d’exister, ne recoupent-elle pas celles qui fondent aussi la maçonnerie ? C’est l’un des rares pays d’Afrique où une telle convergence existe de façon générique.
Il est peu envisageable de prendre part aux luttes actuelles de pouvoir sans risque d’y perdre son âme. Mais n’est-il pas temps de faire la synthèse de nos deux enseignements, l’historique et l’initiatique, pour semer les graines de la refondation d’un système étatique qui permettra aux maliens d’être en symbiose avec leur gouvernance ?
Alors renaîtrait un Mali stabilisé en harmonie entre ses citoyens et leur état.
Alors prendrait fin le cycle funeste des renversements brutaux de régime.
Alors nous francs-maçons, serions fiers d’avoir contribuer à l’instauration d’une vraie révolution africaine porteuse d’avenir stable et pacifique.
Ambition lointaine plutôt utopique, c’est vrai. Mais que serions-nous sans l’utopie ? N’est-ce pas notre moteur principal ?
NDLR : voir aussi sur ce thème l'article "MALI – Généalogie du désordre constitutionnel et de l’Etat de non-droit"
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