L’actualité n’arrête pas de faire état de féminicides, de violences sexuelles exercées dans un cadre d’influence professionnelle et nous voilà un nouveau 8 mars pour célébrer la journée internationale du droit des femmes. Quoi de mieux que d’interroger des franc-maçonnes pour connaître leurs ressentis ?
C’est ce que j‘ai proposé à Germaine, sœur d’une loge du Droit Humain, et à Jeanne, sœur du Grand Orient de France. Germaine et Jeanne ne se connaissent pas et elles ont accepté de répondre spontanément.
Question N°1 : Depuis des siècles, la coexistence des genres s’accompagne d’une proportion non négligeable d’actes de violence, de subordination, d’agressions multiformes et de soumission féminine, aujourd'hui, est-ce que les femmes acceptent cette réalité sans broncher ?
Germaine : On commence à voir de la rébellion, mais c’est compliqué ! Les réseaux sociaux ont permis une libéralisation de la parole. Mais ce qui est vrai dans des pays occidentaux ne l’est pas dans la plupart des autres pays. Tout cela est dramatique. Depuis que la société humaine fonctionne, le mâle dominant a été la règle et la femme a appris à se soumettre ; la grande majorité des violences faites aux femmes n’est pas connue car c’est socialement vécu comme une honte. La révolte est récente mais partielle et ne concerne que les pays occidentaux.
Jeanne : La dépendance est la cause majeure : affective, financière, religieuse. L’enfermement dans un sentiment de honte et une réponse à la violence avec la violence verbale perpétuent le schéma.
Question N°2 : Cette réalité est universelle ; elle se rencontre dans tous les pays, dans toutes les classes sociales, quelque soit le mode culturel ou la religion, la rencontre-t-on aussi en Franc-Maçonnerie ?
Germaine : Bien sûr qu’on la rencontre aussi dans les loges mais on n’en parle pas et il n’y a pas à ma connaissance de procès. J’ai personnellement été témoin d’une mésentente familiale avec violences physiques sur l’épouse alors que les les deux étaient membres de deux loges. Aucune plainte, aucune poursuite, l’omerta. Chacun sait que les violences sexuelles n’épargnent pas les sœurs, mais surtout pas de vague ! Une des raisons qui est mise en avant par certains frères pour expliquer le refus de la mixité, c’est de prétendre que la vue d’une femme les empêcherait de se concentrer dans leur démarche initiatique ! Ce genre d’argument est d’une manière voilée une justification du viol comme le font certains hommes qui disent « Elle l’avait cherché » ! Une éducation à l’acceptation de la différence s’impose dans la formation maçonnique !
Jeanne : Les loges sont encore majoritairement masculines et on assiste souvent à un combat de coqs ! Ce n’est pas une soumission mais un respect de la tradition maçonnique.
Question N°3 : Pour ne pas trop subir les violences physiques, les femmes ont appris la soumission, le silence et la simulation, n’y-a-t-il pas d’autres moyens ?
Germaine : Le seul moyen c’est la séparation dès les premières agressions verbales ou physiques ! La violence est un fil rouge qui s’il est franchi doit entraîner le départ du foyer ! Un conjoint violent ne guérit pas. L’éducation, le conseil conjugal, les alertes sont maintenant accessibles mais à condition qu’il n’y ait pas eu de passage à l’acte. Mais, le gros problème, à mon avis, c’est la capacité pour les femmes à prendre confiance en elle, ne pas se culpabiliser, accepter de s’assumer !
Jeanne : Nous vivons dans un monde qui ne supporte pas la faiblesse, le droit à l’erreur et rend les victimes éternellement victimes !
Question N°4 : Tu fréquentes une loge où le féminin des fonctions n’est pas appliqué ; te faire appeler sœur premier surveillant est-ce que cela te paraît normal ?
Germaine : Pour ma part cela ne m’apparaît pas normal mais les instances ont banalisé la question en affirmant que c’était un détail. C’est fondamentalement une négation de la féminité qui nous est imposée. Cette utilisation du masculin soi-disant neutre est une hérésie condamnée par l’académie française et bien en loge on continue ! Autre atteinte de la féminité, le non respect en loge et dans les structures obédientielles mixtes de la parité. Mixité entraîne normalement la parité ! Pas en franc-maçonnerie ! Et on y trouve rien à redire !
Jeanne : Je me méfie de la norme, une fois établie, cela justifie des sanctions injustes; Plus de dialogue plus d’écoute…. De la parité au plateau !
Question N°5 : On dit que les loges s’intéressent à la dignité, à l’euthanasie, au revenu universel et à la laïcité, est-ce qu’elles se préoccupent des violences faites aux femmes ? Et si oui cela débouche sur quoi ?
Germaine : On en parle dans les questions à l’étude des loges, certaines obédiences ont des commissions pour le droit des femmes, mais ce sujet n’entre pas pour certain-e-s frères et sœurs dans le cadre des sujets symboliques donc c’est mal vu !
Jeanne : Les débats ont lieu mais les loges sont éloignées du monde profane sur cette question. Il faut travailler plus sur les raisons qui rendent les hommes violent au lieu de montrer les images des femmes tabassées !
Question N°6 : Je ne sais pas ce que tu en penses ma sœur, mais personnellement, j’ai l’impression qu’il y a un malaise ! Les sœurs, qu’elles soient dans des loges mixtes ou des loges féminines semblent « sous influence » ! Sont-elles libres d’exprimer leurs ressentis ou sont-elles dans l’impossibilité de dire vraiment ce qu’elles ressentent ? Issues des classes moyennes et supérieures, elles ne semblent pas souffrir de conditions de vie difficiles. Tant qu’elles fonctionnent comme des hommes cela a l’air de bien se dérouler ; mais peut-être qu’un jour elles auront envahi d’être elles-mêmes ; et ce jour-là que se passera-t-il ?
Germaine : Les femmes n’ont jamais vraiment pris leur indépendance en franc-maçonnerie ; nous sommes sous la coupe d’un modèle masculin. D’autre part de nombreuses sœurs se comportent comme des hommes et n’ont pas vraiment envie de changer. Je fais partie de celles qui souhaiteraient plus de respect de la féminité en loge mais il me semble que nous sommes minoritaires.
Jeanne : Je ne fais pas partie des protégées mais je ne rentre pas dans le combat de coqs ! Il faut donner l’exemple et introduire le débat avec de la hauteur ! Faire avec les hommes et pas contre eux.
Germaine et Jeanne ne représentent pas l’ensemble des sœurs mais leurs réflexions méritent peut-être qu’on les prenne en compte.
Un livre de référence pour toutes celles et tous ceux qui veulent connaître les procédures à suivre :
Lire aussi l'Interview d'Érick Maurel, procureur : "Lutter contre les violences faites aux femmes, un enjeu de civilisation"
Une autre info : Analyser la violence structurelle faite aux femmes à partir d’une perspective féministe intersectionnelle
Auteures :
Catherine Flynn,
Dominique Damant et
Jeanne Bernard
Très bel article malgré la gravité du sujet. Je me rappelle d'un triste épisode où des violences furent perpétrées au sein d'un ménage maçons ; les clans tenaient pour l'un ou pour l'autre, trouvant des excuses ou se réfugiant dans le déni. Pire, en tant que jeune apprenti à l'époque, on m'avait demandé de ne pas m'en mêler (en parler avec le couple), que les plus "anciens" trancheraient sur la question. En fait, à mon souvenir, personne n'a eu le courage d'aller parler avec le frère mis en cause pour en savoir plus et proposer une aide éventuelle (accompagnement, écoute ... ) pour que l'agresseur se rende compte de ses actes (même si personne n'a jamais su exactement ce qui s'est passé,…
Bonsoir Mes FF et SS,
J'ai lu et j'ai aimé cet échange.
Mais j'ai une autre opinion quant à certains points:
(i) "La révolte est récente mais partielle et ne concerne que les pays occidentaux." Je ne partage pas cet avis. Les révoltes des femmes ont toujours existé de tout temps et sous différentes formes. Trois exemples tirés de la région mes parents au Congo-Brazzaville pour illustrer cela: (a) quand la violence devient insupportable, les femmes de chez moi refusaient catégoriquement de faire à manger pour l'homme qui alors devenait comme "un mendiant" aux yeux de la communauté et bien sûr perdait toute considération; (b) la stratégie de la grève ou de la révolte des sexes est connue en Afrique…