Pour tout problème concernant le respect de la laïcité
"Tout citoyen comme toute association, syndicat, entreprise ou service public peut nous saisir à tout moment des difficultés rencontrées.
Nous y répondons dans les 48 heures."
Le respect de la laïcité préoccupe les francs-maçons. En France, l'Observatoire de la Laïcité est l'organisme officiel chargé de suivre l'application du principe de la laïcité défini par la loi de 1905. Son président actuel, Mr Jean-Louis Bianco, a remis son rapport d'activité au Premier Ministre le 10 juillet dernier. Nous lui avons demandé un entretien pour aborder cette actualité de la laïcité. Il a accepté de répondre à nos questions !
Question N°1 : Mr le Président, vous assumez aujourd’hui la présidence de l’observatoire de la laïcité, organisme public placé sous l’autorité du Premier Ministre, êtes-vous croyant ou incroyant ?
JLB : Je suis agnostique.
Question N°2 : Votre longue expérience de la vie politique en qualité de militant socialiste vous incite-t-elle à être plutôt optimiste ou plutôt inquiet quant à l’acceptation et au respect de la laïcité par les différentes composantes du peuple français ?
JLB : Comme le montre le rapport annuel de l’Observatoire de la laïcité, la situation est contrastée.
Les atteintes directes à la laïcité sont mieux contenues grâce à la multiplication des formations à la laïcité et à la gestion des faits religieux.
L’Observatoire de la laïcité a pour sa part contribué à former ou formé plus de 250 000 personnes.
Toutefois, les tensions et les crispations sur ces sujets qui suscitent un émoi important, restent très vives, dans un contexte social fragile, avec la montée de revendications communautaristes.
Il faut bien distinguer ce qui relève de la laïcité du nécessaire respect des règles de notre vie en société. Dans les deux cas, tout manquement doit être sanctionné avec sérénité et fermeté.
Question N°3 : Est-il pertinent de considérer trois époques dans l’Histoire de France pour la laïcité :
- une époque de maturation (de la Révolution Française à 1905)
- une époque d’affirmation et de consolidation (de 1905 à 1940)
- une époque de laïcité officielle et institutionnelle (depuis 1945) ?
JLB : On peut en effet raisonner comme vous le faites. Mais en n’oubliant pas que la laïcité est le produit d’une histoire, notre histoire de France, et le résultat de combats, qui sont à mener encore aujourd’hui.
Question N°4 : Les médias se font régulièrement l’écho des exigences de certaines associations à voir prises en compte des pratiques rituelles et ou religieuses dans le cadre du travail ou des loisirs ; certaines entreprises et collectivités publiques semblent montrer une écoute favorable à ces revendications ; qu’en pensez-vous ? Est-ce compatible avec le respect de la loi ?
JLB : La règle est claire. Dans une entreprise, comme dans une association, ce qui doit s’imposer, c’est le bon fonctionnement de la structure et l’accomplissement de la mission.
Question N°5 : Quand vous analysez la société française aujourd’hui, comment appréciez-vous le respect de la laïcité par les pouvoirs publics aux différents échelons du fonctionnement de l’Etat et en particulier dans les départements, collectivités et territoires d’outre-mer?
JLB : Dans l’ensemble, les pouvoirs publics respectent la laïcité. En cas de doute, l’observatoire de la laïcité est là pour rappeler les règles du droit et la justice assure, comme c’est son rôle, les régulations nécessaires dans les situations concrètes lorsque celles-ci sont problématiques.
Les départements et les territoires d’outre-mer obéissent pour une part à des règles spécifiques qui sont le produit de l’histoire .Mais le respect du principe de laïcité s’impose à tous.
Question N°6 : Chacun sait qu’il existe dans notre pays des groupements et organismes qui ne voient pas d’un bon œil le respect de la laïcité : comment appréciez-vous l’influence de ces mouvements et en particulier par rapport à certains publics fragiles ?
JLB : Il faut être rigoureux et précis dans l’analyse. Il existe dans certains quartiers une pression sociale qui tend à imposer la loi du quartier, qu’il s’agisse de l’économie de la drogue ou d’une certaine vision de la religion musulmane.
Toute pression, tout manquement à la loi commune doivent être sanctionnés. Il y a d’autre part ce qu’on appelle « l’Islam politique » qui vise, comme certains courants d’autres religions, à imposer la loi religieuse à la loi civile.
Dans tous les cas, le combat pour la laïcité doit être mené inlassablement, fermement sur le terrain des situations concrètes.
Question N°7 : En qualité de Président de l’Observatoire de la Laïcité depuis 2013, quelles sont les actions et initiatives en faveur de la laïcité qui ont été prises par l’Observatoire durant ces six années dont vous êtes le plus fier ?
JLB : D’abord le prix de la laïcité de la République Française qui récompense chaque année des initiatives prises par des associations, des entreprises, des collectivités territoriales, des établissements scolaires.
Nous recevons plus de 100 dossiers par an qui témoignent de la vitalité des actions menées pour promouvoir et faire connaitre la laïcité.
D’autre part, les formations menées pour les publics les plus divers qui visent en définitive à faire de chaque citoyenne et de chaque citoyen des militants de la laïcité.
Question N°8 : Quelles sont les difficultés que vous avez pu rencontrer dans votre fonction ?
JLB : Les deux principales difficultés sont la méconnaissance de la laïcité, encore trop répandue, et son instrumentalisation par certains groupes politiques.
On ne doit pas charger la laïcité de résoudre toutes les difficultés et tous les problèmes que rencontre notre pays.
On ne doit pas l’invoquer pour justifier des comportements discriminatoires, antisémites ou racistes.
Question N°9 : L’observatoire de la laïcité est aussi une assemblée où se déroulent des débats et des échanges : y-avez-vous observé une dynamique susceptible de faire « bouger les lignes » ?
JLB : Les membres de l’Observatoire sont très divers : des représentants des 7 ministères qui sont membres de droit, deux députés et deux sénateurs partagés entre la majorité et l’opposition, et des personnalités qualifiées d’origines et d’expériences très diverses.
La très grande majorité de nos avis sont rendus à l’unanimité, ce qui leur donne évidemment un poids plus grand.
Question N°10 : Historiquement, au début du XXème siècle, la mise en œuvre du respect de la laïcité a été imposée à l’église catholique ; depuis lors, en France la présence des religions s’est modifiée avec en particulier l’émergence d’une importante communauté musulmane, la loi permet-elle encore aujourd’hui à la laïcité d’être respectée ?
JLB : C’est un point très important. La laïcité a cette force exceptionnelle d’édicter des principes qui sont valables quelles que soient les époques et les pays.
Question N°11 : Le Président de la République a en 2018 suscité l’inquiétude de nombreuses organisations sociales en annonçant une réforme de la loi du 9 décembre 1905 ; il semble que le Président ait renoncé à ce projet : est-ce votre opinion ?
JLB : Il ne faut pas toucher aux grands principes qui ont été posés par la loi 1905. Elle représente un équilibre qui permet de concilier la liberté de conscience pour tous et le libre exercice des cultes avec le respect de la citoyenneté commune, ce qu’on appelle couramment le vivre-ensemble.
Question N°12 : Avez-vous des informations qui témoignent des difficultés des services publics à faire respecter la laïcité ? et si oui, de quelle nature sont-elles ?
JLB : Tout citoyen comme toute association, syndicat, entreprise ou service public peut nous saisir à tout moment des difficultés rencontrées. Nous y répondons dans les 48 heures.
Question N°13 : Parmi les sociétés et associations qui défendent la laïcité figurent les obédiences maçonniques : comment appréciez-vous leurs préoccupations ? Y voyez-vous une spécificité par rapport aux autres associations laïques ?
JLB : Nous sommes en contact régulier avec les principales obédiences maçonniques , comme avec les associations laïques , les mouvements d’éducation populaire, les représentants des cultes.
La spécificité des obédiences maçonniques tient à leur histoire et à leurs principes. Comment oublier le rôle capital joué par des francs-maçons dans la philosophie des Lumières, la Révolution française et l’élaboration de la loi de 1905 !
La laïcité fait partie de leur ADN.
Question N°14 : Le débat durant la campagne pour les élections européennes a vu s’exprimer la peur des organisations laïques de voir les institutions européennes moins exigeantes sur le respect de la laïcité que la République française : partagez-vous cette crainte ? et comment y répondre ?
JLB : La France doit rappeler sans cesse que pour elle le principe de laïcité n’est pas négociable.
Question N°15 : Ne serait-il pas pertinent d’organiser des colloques avec les organisations qui ont leurs propres conceptions de la laïcité pour confronter les points de vue et mettre en évidence les accords et désaccords ?
JLB : Le rôle de l’Observatoire n’est pas d’exprimer une conception particulière de la laïcité. Il est de rappeler inlassablement le contenu du principe de laïcité et les règles de droit qui s’imposent à tous.
Question N°16 : La laïcité suppose la liberté de croire ou de ne pas croire ; pensez-vous qu’aujourd’hui en France, le droit d’être incroyant ou athée est accessible à tous sans risque de représailles ou de discrimination ? Que conseillez-vous à celles et ceux qui s’estiment victimes de l’ostracisme qui vise les incroyants ?
JLB : La liberté de croire ou de ne pas croire, d’être athée, agnostique, indifférent, est en principe garantie aujourd’hui dans la République laïque.
Mais les manquements existent. Il ne faut pas hésiter à saisir l’Observatoire ou la justice.
Question N°17 : Les citoyens oublient souvent que le respect de la laïcité concerne avant tout le fonctionnement de l’Etat et des collectivités publiques ; la notion de service public n’imposerait-elle pas une extension des obligations légales à des activités extra-étatiques ?
JLB : Le respect de la laïcité concerne tous les citoyens. Mais c’est en effet l’Etat, les collectivités publiques et les services publics à qui s’impose l’obligation de neutralité.
Question N°18 : La laïcité sous-entend la tolérance, le respect des autres et la bienveillance : est-ce compatible avec notre culture de « luttes sociales » et comment les mettre en œuvre ?
JLB : La laïcité, comme la République suppose d’abord le respect de la règle commune. En l’absence de loi démocratiquement votée, c’est la loi du plus fort ou la loi de la jungle qui s’impose. Le combat politique ne doit pas exclure le respect de celles et de ceux qui ne pensent pas comme vous.
Question N°19 : Il semble exister des clivages parmi les associations qui se veulent à l’avant-garde de la défense de la laïcité et en particulier un qui oppose deux visions de la réalité de l’islamophobie : que pensez-vous de ce clivage et comment vous situez-vous ?
JLB : L’islamophobie est un mot piégé. Il peut être utilisé pour récuser toute critique de l’islam. C’est pourquoi il est plus pertinent de parler d’actes, de comportements, de paroles anti- musulmanes.
Question N°20 : Fin août se réunissent à Rouen les représentants des loges maçonniques du Grand Orient de France ; le Grand Maître actuel Jean-Philippe Hübsch a placé la défense de la laïcité comme la première préoccupation de son mandat ; quel message souhaiteriez-vous leur transmettre ?
JLB : Tout simplement : « Merci pour votre combat ! »
Question N°21 : L’expertise que vous avez acquise vous autorise-t-elle à donner un avis sur la pertinence de l’Observatoire de la Laïcité comme structure institutionnelle destinée à anticiper et à suggérer des réponses face à d’éventuelles problématiques liées à la réalité du respect de la laïcité dans notre pays ?
JLB : La pertinence de l’Observatoire de la laïcité, après six ans de mandat est reconnue par les pouvoirs publics , par les collectivités locales, par les associations, les entreprises et les syndicats.
L'Observatoire de la Laïcité, qu'est ce que c'est ?
Il a été créé le 25 mars 2007 (voir le décret) par le président de la République Jacques Chirac et le Premier ministre Dominique de Villepin. C'est une commission consultative chargée de conseiller et d’assister le Gouvernement quant au respect et à la promotion du principe de laïcité.
Son existence a été prorogée pour 5 ans à compter du 1er novembre 2017 par le décret n° 2017-1466 du 12 octobre 2017 signé d'Edouard Philippe, Premier Ministre.
L'observatoire de la laïcité est composé :
Outre son président, nommé par décret pour une durée de quatre ans, l'observatoire est composé :
a) Du secrétaire général du ministère de l'intérieur :
- du secrétaire général du ministère de la justice ;
- du directeur général de l'administration et de la fonction publique ;
- du directeur général de l'offre de soins ;
- du directeur des affaires juridiques au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ;
- du directeur des affaires politiques, administratives et financières du ministère de l'outre-mer ;
- du conseiller pour les affaires religieuses au ministère des affaires étrangères ;
b) De deux députés et de deux sénateurs désignés respectivement par le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat ;
c) De dix personnalités désignées en raison de leur compétence et de leur expérience.
Les dix personnalités désignées en raison de leur compétence ont été nommées par Bernard Cazeneuve, Premier Ministre, par l'arrêté du 3 avril 2017 ; il s'agit de :
Mme Soraya AMRANI MEKKI ;
M. Alain BERGOUNIOUX ;
M. Abdennour BIDAR ;
Mme Armelle CARMINATI ;
M. Alain CHRISTNACHT ;
Mme Nathalie APPERE ;
M. Patrick KESSEL ;
Mme Laurence LOEFFEL ;
M. Daniel MAXIMIM ;
Mme Dounia BOUZAR.
Le Président Jean-Louis Bianco est secondé par un rapporteur général : il s'agit actuellement de Mr Nicolas CADENE.
Voir le site de l'Observatoire de la Laïcité.
Comment saisir l'Observatoire de la Laïcité ?
Adresse 101 rue de Grenelle 75007 Paris Téléphone : 01 42 75 76 46 Courriel : secretariat.laicite@pm.gouv.fr
Jean-Louis Bianco, un parcours de grand serviteur de l'Etat
Jean-Louis Bianco (voir sa biographie sur wikipedia), né le 12 janvier 1943, est d'abord un homme politique, membre du Parti Socialiste, élu de Digne-les-Bains et de la Région Alpes Côte d'Azur. En 2012, il abandonne ses mandats électifs. En 2013, il est nommé Président de l'Observatoire de la Laïcité ; bien que l'Observatoire de la laïcité ait été créé en 2007, aucun membre ne fut nommé sous la présidence de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, de sorte que Jean-Louis Bianco en fut le premier Président. Il fut renouvelé à ce poste en 2017.
Jean-Louis Bianco se fit connaître lorsqu'il fut nommé secrétaire général de la République de François Mitterrand. Il y restera 9 ans.
Il fut ensuite 8 ans Président de l'Office National des Forêts.
Il est auteur (ou co-auteur) de :
- L'après Charlie : Vingt questions pour en débattre sans tabou (2015) Jean-Louis Bianco et Lylia Bouzar
- Mes années avec Mitterrand: Dans les coulisses de l'Elysée
Jean-Louis Bianco
- Les mots (et les actes) pour vivre ensemble - 2016
COLLECTIF
- Si j'étais président... : Entretiens avec Sylvie Turillon-Manuel (Essais -
Documents) - 2013
Jean-Louis Bianco
- Portraits d'ateliers avec artistes en Haute-Provence - 2006
Isabelle de Rouville et Jean-Louis Bianco
- La Forêt : une chance pour la France - 1998
Jean-Louis Bianco
Le 6ème rapport annuel 2018-2019 a été remis par le Président Bianco à Edouard Philippe, Premier Ministre le 10 juillet 2019. Il est possible de le télécharger pour le consulter en cliquant sur ce lien.
Le rapport de synthèse fait une vingtaine de pages avec sept chapitres :
- un constat global,
- les réponses à apporter,
- les avis et études adoptés en 2018-2019,
- les actions proposées par l’Observatoire de la laïcité en cours ou en attente de mise en oeuvre,
- le rappel des principales politiques publiques et actions promouvant et défendant le principe de laïcité depuis l’installation de l’Observatoire de la laïcité,
- L’Observatoire de la laïcité en chiffres,
- Les 800 déplacements de l’Observatoire de la laïcité réalisés en France à la demande d’administrations, de collectivités et d’acteurs de terrain.
Le constat global , tout en relevant que "Les atteintes directes à la laïcité (qu’elles émanent d’individus, d’associations, d’admi-nistrations ou de collectivités) restent en réalité peu répandues au niveau national", souligne que "Dans ce contexte qui persiste, fait à la fois d’inquiétude, d’émotion mais aussi de confusions entre ce qui relève de la laïcité et ce qui relève d’autres champs, dont le radicalisme violent et le terrorisme, il est plus indispensable que jamais de dresser l’état des lieux de la laïcité avec une grande rigueur d’analyse."
Par ailleurs, le rapport souligne que "le besoin de formation reste énorme."
Le rapport complet fait près de 600 pages mais mérite de s'y plonger pour avoir une approche complète de la réalité de la problématique laïque aujourd'hui en France.
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